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une question de vie ou de mort, » et cette expression a été reprise un peu après par le chancelier, M. de Bethmann-Hollweg. Il fallait aller vite, et, vouloir forcer la frontière française, hérissée de forteresses, aurait amené « une grosse perte de temps. Cette perte de temps, continue le ministre, aurait été autant de temps gagné par les Russes pour amener leurs troupes sur la frontière allemande. Agir avec rapidité, voilà le maître atout de l’Allemagne ; celui de la Russie est d’avoir d’inépuisables ressources en soldats. » On ne saurait refuser aux hommes d’État allemands l’art des formules lapidaires qui enferment beaucoup de sens en peu de mots. Nous regrettons qu’ils ne nous aient pas dit quel était le maître atout de la France. Ils ne nous l’auraient pas appris, mais nous aurions trouvé piquant de le tenir de leur bouche. Ils avaient sans doute quelque estime pour nous, puisqu’ils ne reculaient, pour être plus certains de nous battre, devant aucune violation du droit des gens. Ils n’avaient un sentiment contraire que pour la « méprisable petite armée du général French, » comme l’a dit rageusement l’Empereur. Cette petite armée s’élève aujourd’hui à 250 000 hommes, et il en vient tous les jours de nouveaux.

Gardons-nous d’une confiance, non pas exagérée, mais prématurée, et tâchons d’acquérir une vertu qui ne nous est pas très naturelle, la patience.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage,


a dit notre grand fabuliste. Et, après tout, nous devons penser que, si la rapidité était indispensable à l’Allemagne, la lenteur nous est utile. Elle est pénible sans doute ; elle coûte cher, si on songe à la quantité de vies humaines sacrifiées ; mais elle est d’un effet sûr. On peut d’ailleurs en juger d’après le résultat déjà acquis, si on compare, comme nous le faisions il y a un moment, notre situation d’il y a un mois à celle d’aujourd’hui.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.