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salut public, écrit-il, ce n’est plus de l’histoire politique des partis, mais de la défense nationale qu’il s’agit. » On a vu, il y a un moment, ce que la guerre peut déchaîner d’appétits monstrueux et de fureurs sanguinaires dans une race violente et grossière : nous aimons à détourner les yeux de ce spectacle pour constater ce qu’elle peut faire de bien dans une race supérieure. Notre souhait le plus ardent est qu’après la guerre, il reste quelque chose de la paix qu’elle a fait régner entre les cœurs français.

Revenons aux opérations militaires ; nos esprits ne peuvent d’ailleurs pas s’en détourner longtemps ; nos destinées sont l’enjeu de leurs combinaisons. Nous avons dit ce qu’elles avaient été en France et le point autour duquel elles se développent aujourd’hui. Mais elles ne sont pas isolées, elles se rattachent étroitement aux opérations correspondantes qui se poursuivent en Belgique. On ne saurait exagérer la reconnaissance que nous devons aux Belges et à leur Roi. Ce dernier, qui s’était déjà attiré l’estime de l’Europe par la conscience scrupuleuse qu’il mettait à l’accomplissement de ses devoirs, a manifesté tout d’un coup des qualités encore plus hautes, celles qui dans l’histoire ont été l’honneur des grands chefs d’État et des grands chefs d’armée, et il n’y a pas à douter que ces qualités viennent du cœur. Le roi Albert a été, à Anvers, l’âme de la résistance ; et il a lutté jusqu’au bout. Malgré cet effort, Anvers a succombé : l’héroïsme ne suffisait pas pour le sauver. Nous avons fait, l’Angleterre et nous, tout ce qui était possible pour lui porter secours : les renforts que nous avons envoyés n’ont pas suffi. C’est le samedi 10 octobre que la nouvelle de la chute d’Anvers est arrivée à Paris : elle y a produit une émotion, une affliction profondes. La Belgique n’avait pas mérité cela ! Nous nous sommes sentis atteints par le coup qui la frappait, et nous nous sommes demandé avec inquiétude quelle était la portée militaire de l’événement. Qu’était devenu le roi Albert ? Avait-il été fait prisonnier ? L’armée qui défendait Anvers avait-elle été obligée de se rendre ? Le matériel de guerre que la ville renfermait était-il tombé entre les mains de l’ennemi ? Grâce à Dieu, rien de pareil n’était arrivé. Le Roi, l’armée avaient pu gagner la campagne dès le début du bombardement, avec armes et bagages. Ce qu’on avait été obligé d’en laisser dans la ville avait été en partie détruit. L’effet moral de la chute d’Anvers reste infiniment douloureux, les conséquences matérielles sont très atténuées. L’armée allemande occupe la place, mais on ne voit pas bien ce qu’elle pourra en faire : en tout cas, elle continuera de trouver une armée belge libre de ses mouvemens devant elle, aussi