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culpabilité des gens avant de les fusiller. » Et ce n’est pas tout, mais il faut se borner. Aussi bien, en voilà assez de ces horreurs ! L’officier qui les avoue, en a vaguement honte, traite à plusieurs reprises ses soldats de vandales, et néanmoins participe au pillage des maisons, n’est pas exempt de quelque mélancolie. La peur le prend et, se trouvant, le 22 septembre, à Anifontaine, il écrit : « Je suis convaincu que ce pays-ci nous servira de tombeau. » Peut-être a-t-il dit vrai en ce qui le concerne, puisque son carnet de marche est passé de ses mains dans les nôtres.

Si la guerre met cruellement à nu les plus mauvais instincts de la bête humaine, elle développe aussi chez l’homme civilisé les plus hautes qualités du cœur, exalte le patriotisme, pousse au sacrifice de soi-même et, dans un grand pays, réalise, au moins pour un moment, l’union de tous dans une même pensée et un même sentiment. C’est alors que la générosité foncière d’une race se retrouve et se manifeste. La mort du comte Albert de Mun vient d’en donner un exemple de plus. Il n’y a peut-être pas eu en France, dans notre génération, une âme plus noble que la sienne, servie par une éloquence plus généreuse. Portant pour lui-même le désintéressement à ses dernières limites, la chaleur de ses convictions imposait à tous le respect et sa bonne grâce la sympathie. C’est de lui surtout qu’on pouvait dire qu’il avait des adversaires, mais non pas d’ennemis. Grâce à cet ensemble de qualités, il s’était fait au Palais-Bourbon une situation particulière. Royer-Collard disait à Martignac : « La Chambre est vaine de vous. » Il y avait quelque chose de cela dans le sentiment que M. de Mun inspirait à la Chambre actuelle, si différente pourtant de celles de la Restauration. Si M. de Mun était mort à un moment ordinaire, sa disparition aurait été un deuil pour le Parlement ; aujourd’hui, elle en a été un pour la France entière, parce que, depuis quelques semaines, elle s’était accoutumée à entendre tous les matins sa voix s’élever dans un journal et qu’elle prenait volontiers cette voix pour la sienne. Elle y retrouvait, dans une langue chaude et sonore, ce qu’elle pensait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle espérait surtout, et elle avait, en quelque sorte, adopté M. de Mun pour son interprète. Aussi sa mort a-t-elle servi une fois de plus à manifester l’union de tous les partis dans la seule religion qui n’a pas d’infidèles, celle de la patrie. Ce n’est pas seulement M. le président de la République qui a tenu à exprimer ses sentimens de condoléance à la famille du défunt : il n’est pas jusqu’à M. Vaillant, ancien membre de la Commune, qui ne s’incline aujourd’hui devant la cercueil de M. de Mun. « Dans l’effort commun de