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ou trois caractères qui semblent constitutifs et sont, en quelque sorte, inhérents à sa définition. Si l’on voulait savoir ce que c’est qu’une image, et en quoi elle diffère d’une œuvre proprement artistique, on verrait que le premier trait est l’indifférence à la valeur d’art, et inversement l’importance accordée à l’idée. L’image, je l’ai dit, est un genre éminemment idéaliste. Le public à qui elle s’adresse est incapable de jouir de la forme pour elle-même ; il n’a pas le loisir d’être désintéressé. Il ne voit que l’histoire, le sujet contenu dans cette forme. L’image est, à Epinal, ce qu’elle était au moyen âge et depuis les premiers temps de l’Eglise : elle est toujours le livre des illettrés, la manière qu’iIs ont de s’initier par les yeux à la vie idéale. Voilà, même laïcisée, ce que l’image moderne a conservé d’abord de l’image d’autrefois. Elle a toujours un sens, une portée édifiante. Elle est l’héritière des vieux « Saints » qui furent ses premiers héros, et le peuple a bien fait de lui en laisser le nom.

L’image est instructive : elle enseigne, elle est pédagogique et encyclopédique. Voilà pourquoi elle ne souffre ni vague, ni indécision. Elle présente sur l’univers une foule de notions précises, et ramène l’ensemble des choses à un petit nombre de traits simples et lumineux. Il vaudrait bien la peine de feuilleter un moment un carton plein de ces images, et d’y voir, dans son pêle-mêle et sa simplicité, les élémens qu’elle fournit pour reconstituer le monde. On aimerait à voyager en compagnie de ces feuilles magiques, à faire avec elles, à vol d’oiseau, le tour des siècles et de la terre, car il y a une géographie, une histoire d’Epinal, et l’on est tout surpris du peu où se réduit l’immense tradition du passé. De quoi se compose, pour le peuple, l’héritage de l’humanité ? Quel viatique ? Ce que chacun peut emporter sur l’épaule, roulé dans son mouchoir avec son baluchon. De l’antiquité, la Genèse depuis Adam jusqu’au déluge, l’histoire de Joseph, puis Vercingétorix : rien de plus. Du moyen âge émergent Charlemagne et Roland, puis les croisades et Jeanne d’Arc. On passe ensuite à Henri IV, et on arrive en ligne droite à Napoléon, aux guerres d’Afrique, à Solférino, Magenta, Malakolf, Puébla ; c’est tout ; et en voilà assez pour que l’Orient, l’Egypte, l’Afrique, les Mameluks, les Pyramides, les Bayadères, les étrangetés du désert, les mystères des sérails, les enchantemens d’Armide entrent dans la pensée et y mettent à jamais leurs mystères et leurs fantômes.