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— Ne dis pas de folies ! murmura la mère.

— Mais toi-même, maman, — lui demanda Centa en se retournant vers elle, — oserais-tu prétendre que, à dix-neuf ans, tu ne pensais pas déjà au mariage ?

— Le fait est que j’étais déjà mariée ! répondit imprudemment Mme von Traubach.

— Tandis que moi, au même âge, je ne suis pas même encore fiancée ! s’écria Centa, d’un accent d’épouvante. De telle sorte que je dois me sentir honteuse devant toi, maman, sans compter qu’il ne se peut pas que toi, une dame encore jeune, tu aies auprès de toi une aussi grande fille ! Il faut que cela change, et le plus vite possible ! Ah ! messieurs les lieutenans de la nouvelle garnison peuvent dès maintenant se réjouir de l’attente de mon arrivée : car le fait est que je vais essayer de leur tourner la tête à tous, quels qu’ils soient !


C’est ce que va essayer, en effet, l’ « exquise créature, » dès le lendemain de son arrivée dans la nouvelle résidence de ses parens ; et nous la verrons notamment, tout au long du récit dont elle est l’héroïne, mener de front deux intrigues « galantes » d’une témérité à tout le moins singulière, — l’une d’elles devant lui permettre de « tourner la tête » de l’officier d’ordonnance de son père, tandis que l’autre l’amènera à « décrocher » le mari espéré, sous les espèces du plus beau lieutenant de la garnison. Ai-je besoin d’ajouter que pas un instant, tout au long du récit, l’auteur ne manque à nous faire sentir le mélange d’admiration et de sympathie qu’il éprouve pour le « tempérament passionné » d’une héroïne qui — comme d’ailleurs aussi sa respectable mère — lui apparaît manifestement l’incarnation parfaite de l’élégance et du raffinement « aristocratiques » de sa race ? Car mon lecteur français se tromperait entièrement à croire que le général von Traubach fût allé chercher jadis dans quelque cuisine la compagne qui accueille de l’étrange façon que l’on sait la promotion de son mari à l’un des plus hauts grades de l’armée impériale. Dans ce roman tout de même que dans ses autres peintures de la vie familière des officiers allemands, le baron von Schlicht n’entend nous présenter que des personnes de la « naissance » la plus authentique ; et lui-même, sans doute, se montrerait bien surpris si quelqu’un s’avisait de lui dire que ni la naïve parcimonie de Mme von Traubach, ni l’impatience non moins ingénue de la « délicieuse » Centa ne sont dignes du rang social de ces deux héroïnes.


Mais il y a dans le dernier roman de M. von Schlicht un personnage, d’extraction toute « démocratique, » dont il semble bien que