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de dix ans. Elle avait vieilli de sa vie. Les imbéciles ! De toute sa vie... Elle était devenue Reine. Elle était devenue la Reine des Sept Douleurs. » Le grand orateur catholique que nous venons de perdre, le comte de Mun, avouait que toute cette partie du Mystère de la Charité lui avait mis les larmes aux yeux.

A cette Vie de Jésus il faudrait Joindre tels passages du Porche de la deuxième Vertu. Péguy y parle des saints, non certes avec irrévérence, mais avec cette familiarité à laquelle on reconnaît le vrai croyant, le croyant qui frappe l’image du patron négligent dont l’intervention ne lui a pas obtenu la faveur souhaitée. Dans la même méditation sur la deuxième vertu théologale, qui est l’espérance, je note des pages très curieuses sur la simplicité de cœur avec laquelle il faut aborder les vérités éternelles. « Ce sont les imbéciles qui font le malin. » Par certains côtés Péguy rappelle ces prédicateurs d’autrefois dont les foules comprenaient si bien le langage, parce qu’ils parlaient naturellement le langage des foules. Il en a le mauvais goût, parfois la platitude, mais aussi l’ardeur, la pénétration intime, l’intelligence par le dedans, la tendresse. La naïveté a été fort à la mode parmi beaucoup de littérateurs de notre temps ; seulement, chez presque tous elle était un artifice, un raffinement de plus, le dernier mot du raffinement. Chez Péguy elle était sincère : c’est toute la différence.

Et ce qu’il y a eu de meilleur en Péguy, ç’a été son influence, son action, la tâche à laquelle il a consacré tout l’effort des dix dernières années de sa vie. Il a réconcilié la jeunesse intellectuelle avec l’idée de patrie. Il a pendant ces dix ans lutté, bataillé pour la défense de la culture française. Il était de ceux qui ont vu avec une âpre tristesse la cause des humanités abandonnée par ceux-là mêmes qui avaient pour devoir et pour mission de les défendre. Les études grecques et latines, suspectes d’être aristocratiques ou peut-être simplement bourgeoises, ont été sacrifiées à la plus basse démagogie. Et de cet ostracisme la première victime, ç’a été le français, la langue et la littérature françaises. La responsabilité en remonte, pour une bonne part, aux maîtres de notre haut enseignement : ils se sont engoués de science ou de ce qu’ils ont pris pour la science. Et pour cela, pour une illusion, pour une erreur, ils jettent allègrement par-dessus bord toute cette acquisition magnifique que nous devons a la Renaissance et qui, depuis le XVIe siècle, n’a cessé de s’accroître, de s’enrichir, de s’illustrer. Par le simple moyen d’une réforme des programmes, ils suppriment tout l’effort des humanistes de la Renaissance. « Sous nos yeux, par nos soins, disparait la mémoire de la plus belle