Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monarchie de Juillet, à populariser la légende napoléonienne. Les peintres, les artistes, les Raffet, les Charlet, ne dépassaient guère le cercle d’action de deux ou trois grandes villes ; l’image populaire avait le privilège de pénétrer au village ; c’est elle qu’on trouvait dans les auberges le long des routes, c’est elle dont les rouliers, les compagnons du tour de France, rencontraient l’accueil à l’étape et emportaient le souvenir ; c’est elle qui achemina lentement vers l’Empire l’âme profonde des campagnes.

C’est à ce moment à peu près que cesse l’âge des primitifs, et que la fabrique d’Epinal entre dans une nouvelle phase d’activité. Vers 1850, elle s’adjoignit un dessinateur. Ce dessinateur, Pinot, était un enfant d’Epinal, un garçon distingué, délicat, spirituel, dont on voit, au musée de la ville, quelques charmants tableaux de mœurs. Il s’engagea, pour vivre, à la maison Pellerin, et lui donna pendant vingt ans toutes les forces d’un talent où il y avait de l’exquis. Il était plein de dons aimables, d’une verve amusante, d’une qualité rare de conteur en images, avec ce tour moral qu’on remarque aussi chez Granville ; mais il avait certainement plus de grâce que ce dernier, une élégance naturelle, encore qu’un peu banale, quelque chose de l’esprit voluptueux d’un Gavarni. L’imagerie prit avec lui beaucoup de raffinemens qu’elle ignorait au temps de Réveillé et de Georgin. Elle a désormais des coquetteries nouvelles, je ne sais quoi de piquant, de pimpant, d’attifé, où l’on reconnaît aisément l’esprit de cette époque et son goût du plaisir. Rien de plus propre, de plus tiré à quatre épingles, que les longues files de soldats, les uniformes de la garde, avec le tambour-major et l’indispensable cantinière, que Pinot ne se lasse pas d’aligner, tous brillants, tous pareils, tous astiqués, tous au port d’arm.es, comme à la revue ou à la parade. En même temps, les procédés d’impression et de tirage se modernisent. L’image s’allume de paillettes d’or, de petites étincelles aux gourmettes, aux shakos, aux éperons, aux sabretaches. Avec tous ces perfectionnements, elle fait désormais la conquête d’un public nouveau : ce n’est plus l’image rustique de la première époque ; assouplie et débarbouillée, dégourdie, parisianisée, elle s’adresse maintenant moins au peuple qu’à la bourgeoisie : elle devient l’image enfantine.

Mais, sous cette nouvelle forme, elle conserve toujours deux