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de Péguy était excellent, que sa syntaxe était correcte, qu’il n’y avait chez lui jamais de vague, jamais d’obscurité, jamais de termes impropres. Et Jules Lemaître s’y connaissait.

Sur ce fond de nature paysanne une formation classique : à la plante poussée en terre française la culture gréco-latine. Péguy a parlé avec une reconnaissance attendrie de ces maîtres qu’il eut au collège, humanistes à l’ancienne mode, qui savaient si bien ce qu’ils enseignaient ; et ce qu’ils enseignaient, c’étaient les langues anciennes, mais c’était aussi la probité intellectuelle qui entraîne infailliblement la probité morale. Péguy avait profité de leur enseignement, de toutes manières. Il a été un des hommes de notre temps qui ont le mieux su le grec et le latin. Et il ne les avait pas oubliés. A quarante ans, il relisait Homère et Virgile dans le texte. Il assure n’avoir écrit un de ses Cahiers, les Supplians parallèles, que pour se donner le plaisir de copier du grec, de sa main, et de corriger une épreuve en grec. Il faut lire cette étude pour se rendre compte à quel point » passant de la lettre à l’esprit, Péguy avait pénétré au plus intime de la littérature grecque. Il s’y livre à l’analyse la plus intelligente et la plus fine de l’idée de supplication dans les civilisations antiques. Et prenant pour exemple Œdipe Roi, il en donne une interprétation qui, le vengeant des gloses de Francisque Sarcey, lui restitue son caractère religieux. Autant qu’avec les classiques grecs et latins, Péguy était familier avec nos classiques français. Il a écrit sur Corneille et sur Racine des pages de la critique la plus ingénieuse. Il a montré parfaitement l’optimisme incurable de Corneille, et que les traîtres eux-mêmes, dans ce théâtre, sont les plus honnêtes gens du monde. De même, il a fait ressortir la cruauté foncière de l’art de Racine, et que les plus tendres, les plus doux, les plus innocens de ses personnages en sont aussi les plus cruels. Pour ce qui est de Victor Hugo, il en a parlé souvent, il lui a consacré presque en entier deux de ses meilleurs « Cahiers », Notre Patrie et Victor-Marie, comte Hugo. Ce qu’il a bien vu, montré supérieurement et qui en effet est essentiel chez Victor Hugo, c’est que nul autre poète en aucun temps ne fut plus complètement étranger à la pensée et à la sensibilité chrétiennes. Inversement, il fut païen comme les plus grands des anciens. Il avait beau avoir été pair de France sous Louis-Philippe, il voyait toute la nature avec la même jeunesse de regard et fraîcheur d’impression qu’un aède contemporain des premiers âges. Ce sont là d’excellens morceaux de critique professorale. Car quoiqu’il n’ait jamais fait la classe, et qu’il ait eu, si je ne me trompe,