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naufragés. Il ne les croisa donc pas. Au reste, il dirigea, comme le Hogue, une violente et peut-être inutile canonnade[1] contre des périscopes, — cinq, dit-on, — qui se montraient par instans autour de lui. Le Cressy n’en fut pas moins torpillé et coula en trois quarts d’heure, moins vite, semble-t-il, que ses deux conserves.

Trois bons et beaux bâtimens, encore qu’un peu anciens (ils avaient quatorze ou quinze ans), étaient perdus avec plus d’un millier de braves gens, de vaillans officiers, d’excellens marins !…


Les réflexions qu’inspire une telle catastrophe ont un caractère particulièrement pénible. L’événement avait été prévu depuis bien des années, prédit par des officiers de caractère indépendant et, tout récemment, par le célèbre amiral Percy Scott qui, dans une sensationnelle « interview » du Times, rappelait à ses compatriotes la puissance trop discutée et pourtant indiscutable des sous-marins, des torpilles automobiles, des mines automatiques.

Ces avertissemens paraissent être restés inutiles pour les grandes marines européennes. Ce n’est que dans les tout dernières années que les ingénieurs, trop mollement poussés par les marins eux-mêmes, recherchèrent les moyens de protéger les coques plongées contre le terrible choc des charges de 100 à 120 kilos de fulmi-coton, ou d’autres explosifs violens. Et ces ingénieurs n’oseraient assurément pas dire qu’ils y ont réussi. Quant aux filets pare-torpilles, perfectionnés, dédoublés, on savait bien qu’ils ne pouvaient défendre contre la torpille automobile qu’un bâtiment au repos. Ces engins sont d’ailleurs impuissans contre les mines. Avait-on, du moins, créé des armes particulières contre les sous-marins, ainsi qu’on s’est efforcé de le faire contre les aéroplanes ? — Nullement. On tire sur l’emplacement présumé du sous-marin avec des canons à trajectoire tendue dont les projectiles ne s’enfoncent pas assez dans l’eau. En tout cas, depuis le temps que l’on faisait des exercices d’attaque des escadres par ces petits bàtimens, on avait dû édicter des règles précises et claires en vue de parer aux dangers qui se révélaient aux yeux les plus prévenus et en

  1. L’Amirauté anglaise croit cependant savoir que deux des cinq sous-marins allemands furent coulés. Il est fort difficile d’arriver sur ce point à une certitude. Les Allemands ne diront rien.