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détroits, dans le Kielerbucht et le Fehmarn Belt, — on les draguera de vive force[1], comme on l’a fait, comme on le fait encore dans la mer du Nord. Et ce sera plus facile, en raison des circonstances géographiques et hydrographiques, pourvu cependant que l’on prenne toutes mesures pour que de soi-disant caboteurs ou pêcheurs neutres n’en viennent pas semer de nouvelles derrière les dragueurs.


C’est précisément ce qui se passait dans ces parages de la mer du Nord où, le matin du 22 septembre, trois croiseurs cuirassés anglais naviguaient de conserve, en soutien d’une flottille de patrouille. Celle-ci, malheureusement, s’était éloignée vers 6 heures, probablement pour surveiller de plus près ces pêcheurs suspects, et elle ne devait être remplacée auprès des croiseurs que dans le courant de la journée. La division était donc à découvert lorsque, vers 7 h. 1/2, le bâtiment de tête, l’Aboukir, qui marchait à la vitesse de 7 n., — trop lentement pour rendre difficile la visée dans un périscope de sous-marin, trop vite pour pouvoir laisser en place ses filets pare-torpilles, — fut frappé par une explosion violente, donna de la bande et commença aussitôt à s’enfoncer. Son matelot d’arrière, le Hogue[2], stoppa immédiatement pour mettre ses canots à la mer et sauver l’équipage de l’Aboukir. C’était faire la part belle aux sous-marins allemands. Quelques instans après, il était atteint, lui aussi, par une torpille, non sans avoir tiré du canon sur quelques remous, quelques sillages, indications fort vagues…

Pas plus que le Hogue, le Cressy, serre-file du groupe, ne songea à sa propre conservation. Tourner le dos et prendre une allure vive, ce qui était le seul moyen d’échapper à la destruction, le chevaleresque amour-propre et l’esprit de solidarité des marins anglais ne s’en pouvaient accommoder. Croiser les tangons des filets Bullivant, outre que c’était trop long, cela l’eût empêché d’envoyer à son tour ses embarcations au secours des

  1. Je rappelle que la flotte russe de la Baltique a un bon nombre de dragueurs de mines.
  2. Ce nom de Hogue — nous dirions La Hougue — est celui que les Anglais donnent à la bataille du 29 mai 1692, où Tourville tint tête avec 44 vaisseaux aux 90 de la flotte anglo-batave ; celui de Cressy — nous dirions Crécy — rappelle la défaite de Philippe VI, en 1346, et celui d’Aboukir la destruction, le 1er août 1798, de la flotte de Brueys qui avait convoyé en Égypte l’armée de Bonaparte.