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ouvriers signaient. Ils signent, mais ils n’inventent pas. Ces gens du peuple, ces primitifs sont entièrement dépourvus d’imagination. Leur œuvre est tout le contraire d’une œuvre originale. Ce qui lui manque le plus, c’est la naïveté. J’ai dit que les guerres de l’Empire formaient le fonds principal de la maison Pellerin ; Réveillé, on l’a vu, avait été soldat ; il avait suivi l’Empereur à travers toute l’Europe, et c’était plaisir de l’entendre conter ses souvenirs. Il disait les monceaux de morts, les hommes gelés sur pied, et les chevaux qu’on éventrait vifs, afin de manger leur chair crue et de trouver un peu de chaleur à la place des entrailles. Ainsi le vieux grenadier rapportait ses campagnes ; il racontait ingénument ces misères effroyables ; alors il se souvenait, il parlait de source. Au contraire, quand il grave, il copie.

Il copie. C’est en vain que vous chercheriez dans ces images la moindre trace d’une chose vécue, une de ces circonstances qui ne se présentent qu’une fois et marquent un ouvrage d’un caractère unique. Ne demandez pas au grognard, ni à son camarade Georgin, qu’ils vous donnent les carnets de notes d’un « vieux de la vieille, » le côté anecdotique de la guerre, l’épopée aperçue par bribes et par lambeaux, ce qu’on voyait dans le rang, à travers la fumée, à Austerlitz ou à Wagram. Ces mémoires militaires, ces croquis de la Grande Armée, nous les possédons, par exemple, dans les souvenirs d’un Ségur ou dans le prologue fameux de la Chartreuse de Parme ; nous en avons quelque chose au moins dans les aquarelles d’un Schwebach et dans les toiles du général Lejeune. Mais ces auteurs étaient des peintres, avec de jolis dons et une certaine culture. Les Réveillé et les Georgin ne sont que des manœuvres. On ne sait trop quel hasard a emmanché au bout de leur bras le « clou » du xylographe. Ce sont de consciencieuses machines, mais des machines à reproduction. Elles ne savent que répéter les modèles qu’on leur fournit, les gravures de la rue Saint-Jacques, qui est, depuis le XVe siècle, le quartier général des libraires et marchands d’estampes. C’est de ces boutiques parisiennes, de chez Genty, de chez Basset, de chez Migeon que viennent ces feuilles en taille-douce, ces gravures au burin, sur cuivre ou sur acier, que la maison Pellerin se borne à démarquer sur bois. L’image d’Épinal n’est qu’une adaptation. On s’attend à trouver l’Empire peint par le capitaine Coignet : on trouve