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excepté le presbytère et l’église. C’est là que votre ambulance est venue nous prendre. Voilà aujourd’hui cinq jours que j’ai été blessé, à la fin de l’après-midi. C’est mon capitaine qui a été tué le premier. Tout ce qu’ils peuvent viser d’officiers, ils ne les manquent pas. Nous en avions aussi descendus pendant trois jours ! Mais, sur deux cents et quelques de la compagnie, on n’est pas vingt de reste. »

Pour mieux comprendre ces récits, et celui que nous allons donner pour finir, il faut savoir qu’ils se rapportent aux batailles qui marquèrent l’arrêt de l’aile droite allemande, et à la suite desquelles les troupes allemandes durent se retirer précipitamment : « Un éclat d’obus m’avait jeté parterre, blessé au côté. Deux jours sans être pansé. Les Allemands arrivent. Il y avait un Saint-Cyrien à côté de moi ; ils lui enlèvent son argent. Moi, ils ne m’ont pas fouillé ; ils ont seulement pris ma musette, avec le pain et le chocolat. Ils m’ont emmené et fait suivre. Nous arrivons à l’église. Le major nous a soignés et donné de la soupe. Nous allions être emmenés par les Allemands, mais ils n’ont pas eu le temps. Ils sont partis en nous laissant, nous autres dans l’église et vingt des leurs dans une maison ; ils n’ont emmené que leurs officiers. On nous a menés à Crouy, où votre ambulance nous a trouvés. »


16 septembre.

Deux traits entendus ce matin, à propos de la poursuite qui a suivi notre victoire de la Marne. Le premier est d’un jeune Alpin : « Ils filent, ils filent, qu’on ne peut pas les rattraper. Mais, les cochons, ils nous avaient envoyé quelque chose ! Sur quatre mille que nous sommes descendus des Alpes, il en reste mille. Les autres ne sont pas tous morts ; il y a des blessés [1]. »

Le second trait est d’un réserviste : « Dans un bois on est tombé dessus. Ce qu’on leur en a fourré, les pauvres malheureux ! Il ne devrait pas y avoir de guerres comme ça. »

Certes non, il ne devrait pas y en avoir, et jamais le crime

  1. Nous aurions, d’après certaines statistiques, un tué pour quinze blessés dans l’infanterie, un pour cinq dans l’artillerie (notre cavalerie aurait peu souffert). La raison en est que l’artillerie lourde allemande vise toujours la nôtre afin de la détruire, et jamais l’infanterie ; or, les éclats de ses gros obus sont extrêmement dangereux, tandis que la balle des fusils et des mitrailleuses produit des plaies légères et faciles à guérir, prises à temps. Quant aux obus des canons de campagne, ils se montrent peu efficaces.