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d’ailleurs à bout dans peu de temps ; puis ce serait le tour des Russes, mauvais soldats, et des Anglais, qui n’ont pas d’armée. Le surlendemain matin, il fut permis à notre lieutenant de se joindre à d’autres blessés, ses compatriotes, dans une maison voisine. Peu d’heures après, l’ennemi commençait sa retraite et les abandonnait, comme du reste les siens, sauf les officiers, aux troupes françaises qui reprenaient le village.


15 septembre.

Les témoignages que j’ai entendus viennent de soldats blessés en des rencontres différentes ; ils ne tarissent pas de reproches contre l’armée active, celle qui représente vraiment, — sans les correctifs qu’y apporte ensuite l’existence normale, — la formation militaire prussienne.

Voici, par exemple, pris sur le vif, et dans leur désordre naturel, quelques-uns des récits qui me sont faits :

« L’active ne vaut rien, dit un brave paysan réserviste. Ils cognaient à coups de crosse sur mon mal. Ils ont brisé et jeté tout ce que j’avais. La réserve arrive, c’est différent ; ils me soignent. Mon camarade, blessé à la poitrine, mourait de soif, il en est vraiment mort. Je me traîne pour aller lui chercher de l’eau ; ceux de l’active me couchent en joue. Je suis obligé de faire demi-tour et de me recoucher. »

Un autre a vu des soldats de l’active mettre complètement à nu un de nos soldats qui avait eu le poumon perforé, et qu’ils avaient fait prisonnier après sa blessure. « Quand ils ont vu qu’il fallait l’abandonner, ils lui ont enlevé tout, même sa chemise ; et c’était par méchanceté pure, puisqu’ils n’ont rien emporté. »

Troisième récit, textuel : « J’avais un bras cassé, et je perdais beaucoup de sang. Je suis sorti de la tranchée à quatre pattes, ou plutôt à trois pattes. Ils arrivent et m’enlèvent tout. Je continue. La tranchée était à 50 mètres du village. Je me suis tiré dans une maison où ils avaient tout saccagé. Il ne restait rien du tout que des morceaux. Je vois un copain qui marchait aussi à quatre pattes ; je l’appelle ; il vient se coucher à côté de moi. Le major allemand est venu, nous a soignés, nous a donné du café, du pain. De là, au petit jour, je suis allé à l’église. J’ai trouvé M. le curé, il nous a soignés. Les autres gens étaient partis. Pas une maison qui n’ait été saccagée.