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avantage la marche de la guerre, se transforme en victoire de la France... Comme nos souffrances et comme nos deuils en seraient adoucis !

Mais, en saluant d’un immense désir et d’une joie prête à éclater cette naissante aurore de victoire, je vois, je ne puis m’empêcher de voir de quoi sont teintes les nuées qui lui font cortège ; de quelle précieuse couleur, de quel sang, l’horizon est rouge.

Hier soir, par un vent et une pluie horribles, dans les villages abandonnés des environs de Meaux, nos ambulanciers glanaient encore des blessés privés de soins depuis plusieurs jours. Ils nous en ont rapporté une douzaine au milieu de la nuit ; et ce matin, à 6 heures, ils sont partis en chercher d’autres. C’est un rude spectacle, me disent-ils, que celui des champs de bataille après la bataille, surtout lorsqu’ils s’étendent à l’infini et qu’on ne sait dans quel bois, dans quelle grange solitaire ou dans quelle église, on trouvera les plus malheureux. L’âme tendue vers le but pitoyable, à peine si, de l’automobile fuyant, on accorde un regard aux arbres jetés bas, aux maisons incendiées, aux débris d’équipemens, aux chevaux morts et déjà gonflés, à ceux qui se dressent sur les collines, affamés, immobiles, comme de grands squelettes. Enfin l’on découvre un groupe douloureux, on se penche sur l’herbe sanglante, on réconforte les âmes et les corps, on distribue boisson, nourriture, pansemens, on ressuscite la force et l’espérance. Les pauvres blessés, bien doucement, sont enveloppés, soulevés, couchés sur les matelas de l’ambulance ou sur les coussins de la voiture de maître ; et les voilà partis vers l’asile de science et de bonté, où se réparent, quand ils sont réparables, les forfaits atroces de la guerre. Il y a la science qui tue et la science qui guérit, comme il y a le bien et le mal, comme il y a Dieu et les démons.


14 septembre.

Les blessés arrivent, toujours plus nombreux. Les autres ambulances et hôpitaux se plaignent de n’en pas recevoir. Ils ne nous manquent point, parce que nous avons des voitures pour aller les chercher nous-mêmes. Ce sont encore les victimes des commencemens de la grande bataille, de la grande victoire, puisque depuis l’après-midi d’hier, les bonnes nouvelles sont confirmées.