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7 septembre.

Le vrai travail est commencé. Nous avons reçu, l’après-midi, une dizaine de soldats anglais. L’un d’eux a une balle dans la gorge ; un autre, le pied écrasé ; le reste est blessé aux mains, aux bras, aux jambes, ces pauvres membres bleuis et affreusement gonflés. Tous, excepté un malheureux qui souffre d’appendicite aiguë, se montrent gaillards et de belle humeur ; il nous faut insister pour faire asseoir ceux-là mêmes qui ont le pied malade. La seule chose dont ils se plaignent, et en riant, c’est de ne s’être pas lavés depuis plusieurs jours, ni déshabillés depuis des semaines.

Il ne leur est permis de parler des faits de guerre qu’après quinze jours écoulés. Ce n’est pas, jugent-ils à bon droit, désobéir à cet ordre que de nous confirmer, pour les avoir vues de leurs yeux, les atrocités des Allemands en Belgique, et notamment le fait, très souvent renouvelé, — chaque fois, semble-t-il, que c’était possible, — de placer devant eux les enfans et les femmes, au moment du combat.

Un sujet sur lequel ils ne tarissent pas, c’est l’excellence de l’accueil qui leur est fait partout. « Nous nous croirions chez nous, disent-ils avec un vif accent de gratitude, nous sommes même reçus et traités mieux qu’en notre pays. » C’est trop juste, ne sommes-nous pas frères d’armes ? Une petite scène populaire vient illustrer ces sentimens réciproques de reconnaissance. Un grand Highlander a ouvert une fenêtre qui donne sur la rue. Aussitôt se forme un rassemblement et la foule cherche à exprimer sa sympathie par une ovation discrète. L’arrivée de deux Anglaises et celle de votre serviteur permettent d’engager l’entretien. On me demande d’expliquer, de raconter, d’interpréter. La conversation dure un bon quart d’heure. Une des Anglaises offre le New-York Herald du jour à notre héros ; il l’a déjà lu. Elle propose de le lui apporter demain à cette même fenêtre. Je réponds qu’il sera dans son lit de malade et qu’il vaudra peut-être mieux le déposer au nom de l’aumônier. C’est ce qui sera fait, et l’on y joindra un illustré qui représente des scènes de la guerre où l’armée anglaise a le beau rôle. Quelqu’un me tend un journal qui vient de paraître. Je lis tout haut le communiqué dans lequel, « grâce à une action très vigoureuse de nos troupes, puissamment aidées par l’armée britannique,