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l’Allemagne, des batailles de plusieurs jours, des batailles de plusieurs semaines, où s’entre-tuaient plus de deux millions d’hommes. Je supposai que la Nouvelle-Zélande s’emparait d’une île allemande en Océanie, qu’on se battait en Afrique Orientale, au Cameroun, dans le Congo. Je supposai que le Japon bombardait une presqu’île dans la mer de Chine. Je supposai que sur les Océans de grands navires se faisaient la chasse, que dans la mer du Nord, en même temps que dans l’Adriatique, des flottes entières cherchaient à se détruire. Je supposai revenue l’époque des invasions, et qu’elles s’accompagnaient de destructions, de viols, d’assassinats et d’incendies, comme on n’en avait pas vus depuis Attila. Je supposai que les villes d’art flamandes venaient d’être brûlées, que la Belgique et la France du Nord étaient la proie de hordes barbares, et que le même fléau arrivait aux portes de Paris. Je supposai, pour comble de dévergondage en mes inventions, que, mal satisfaite de ces champs de carnage, la guerre s’étendait jusque dans le ciel, et qu’au-dessus de nos têtes, la science humaine, parvenue après tant de siècles à naviguer dans les airs, en faisait tomber des engins mortels sur les grandes villes, sur les églises, les musées, les hôpitaux, les palais des reines et des princes enfans... Des coups de canon m’éveillèrent de ce rêve affreux. Ils étaient tirés contre des avions allemands qui jetaient des bombes sur Paris.

5 heures 40. — La voiture n’arrive pas. Resterai-je là seul ? Je vais voir les aéroplanes, français ou allemands, qui ronflent au-dessus de la maison.

6 heures. — J’entends la trompe de l’automobile. On sonne ; c’est bien pour moi. M. Carroll et M. Benêt [1] m’emmènent à l’ambulance.


Neuilly, 5 septembre

Les blessés n’arrivent pas. Et cependant nous sommes prêts. L’ambulance est installée au Lycée Pasteur, qui devait recevoir au mois d’octobre ses premiers élèves. C’est un immense et splendide édifice qui n’a pas coûté à bâtir moins de cinq millions. Encore complètement vide, et en partie même inachevé, il ne s’en prête que mieux à la transformation. Avec ses grandes salles de cours, ses laboratoires, ses vastes sous-sols, ses

  1. Deux des cinq membres du Comité. Les autres sont MM. Dalliba, Monahan, et Twyeffort. Le Dr Watson en est président.