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d’Epinal, telle que la conçut Jean-Charles, est un produit direct de cet âge héroïque.

Pénétrons, avec notre guide, dans la boutique provinciale d’où allaient s’envoler tant de brillantes images. Qu’on se figure quelque chose comme l’imprimerie Séchard, des Illusions perdues : le cadre d’une de ces patriarcales industries où la famille se partage entre les soins du ménage et ceux des affaires. Chacun met la main à la pâte. Tandis que le patron surveille les ouvriers, manie le pochoir et le frotton, les femmes s’occupent du comptoir et de la clientèle, tiennent les livres, reçoivent, s’empressent. On admire ici les principes d’une épargne rurale, une économie ingénieuse, une charmante absence de bluff. L’outillage est rudimentaire : quelques tables, quelques pots de couleurs, deux presses à bras de trente francs, voilà ce qui a suffi au fondateur de la maison Pellerin, et tout le matériel qu’on trouva dans son inventaire. Tout était calculé, réduit aux moindres frais. Pour voiturer le papier des manufactures voisines d’Arches, on attend l’occasion d’une charrette de vigneron qui remonte à vide de la plaine ; et l’on choisit le moment où il y a en magasin de vieux stocks à écouler. Adresses de paysans, touchantes lésineries ! C’est à ce prix que l’étroit négoce mérita de grandir, résista aux mauvaises années, s’étendit à toute la France. D’ailleurs, le même homme qui liardait sur le budget ordinaire était capable, à l’occasion, de prodigalité. Il avait, comme Napoléon, des momens où les sacrifices ne lui coûtaient plus rien. Voulant se rendre compte des procédés de Senefelder, il fait exprès le voyage de Strasbourg ; il obtient la licence de traverser les ateliers, et paie ce quart d’heure cinq cents francs. Ce trait aurait ravi Balzac d’admiration.


Mais le charme de ce tableau de mœurs est le moindre mérite des recherches de M. Perrout. Et sa monographie des images d’Epinal n’offrirait, je l’avoue, qu’un intérêt de curiosité, si l’on n’y trouvait l’occasion d’éclaircir un problème important : on y prend sur le fait la question de l’art populaire. C’est une question assez simple, et que le romantisme a rendue très obscure. Tous les critiques nous ont enseigné cette distinction, devenue aujourd’hui banale, entre les produits de l’art savant et ceux de l’art populaire. On nous a répété qu’il n’y avait de