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coiffure à la Mirabeau, l’aspect sérieux de l’homme du Tiers. L’œil est à fleur de tête, petit et attentif, avec quelque chose de flottant et de songeur dans le regard, le menton énergique, la bouche malicieuse, un mélange pondéré de qualités complexes, de prudence et de décision, d’esprit et de candeur. C’est bien l’oncle d’ancien régime qui devait enchanter tant de petits garçons. Il était déjà maître-cartier en 1790, et fut fonctionnaire de la mairie sous la Convention. Mais, la tourmente passée, il jugea vite la situation. Le gouvernement renouvelait le bail avec l’Eglise. Les vieux saints du calendrier, les ci-devant proscrits des décades philosophiques, revenaient d’exil et remontaient l’un après l’autre sur les autels. Jean-Charles flaira une bonne affaire. Les dominotiers de la ville étaient tous retirés ou morts ; leurs bois moisissaient dans les caves depuis les mauvais jours ; il les eut pour un morceau de pain, et se mit à exploiter ce fonds, condamné par la politique, et que la politique ramenait à l’ordre du jour. Il eut ainsi son rôle, modeste, mais important, dans la Renaissance catholique qui suivit le Consulat, et qu’il ne servit peut-être pas moins, dans les campagnes, que Chateaubriand, dans les villes et devant l’opinion, par le Génie du Christianisme.

Mais le marchand-cartier ne s’arrêta pas en si beau chemin. Enhardi par ce premier succès, il ne tarda pas à concevoir la plus féconde de ses idées. Comme il venait de s’annexer l’imagerie dévote, il lui vint à l’esprit d’agrandir encore son négoce et de l’étendre aux faits de l’histoire contemporaine. C’était ouvrir à l’imagerie une carrière infinie et des ressources inépuisables. Sans doute, les anciens imagiers ne les avaient pas ignorées ; ils répandaient certains événemens célèbres, les crimes, les méfaits des bandits et des monstres, ces vagues terreurs dont se repait l’imagination rurale. Mais point da règle, nul système. Personne n’avait encore imaginé, d’une manière suivie, la représentation de l’actualité populaire, la politique, l’histoire, le journal en images. C’était une idée de génie, le germe de la presse illustrée, de l’hebdomadaire à un sou. On serait curieux d’en connaître l’origine. Mais la chronologie du sujet est obscure : les vieux « bois » ont brûlé, les livres de comptes ont disparu. Un seul fait ressort clairement : c’est l’Empire avec ses prodiges, les victoires de nos armes, l’orgueil de tant de gloire, qui détermina, créa tout, occasion, sujets, circonstances, public. L’image