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suite, ses relations avec l’Allemagne. Sciemment et systématiquement, l’Allemagne aura opposé à notre civilisation hellénique, chrétienne, humaine, la fureur dévastatrice des Huns. Il est vrai qu’après la guerre, elle alléguera qu’en agissant ainsi, elle n’a fait autre chose que se conformer, non sans douleur, aux conditions de la guerre idéale et divine, et qu’elle paraîtra disposée à pardonner à ses ennemis les rigueurs qu’elle a eu mission d’exercer contre eux. Mais le monde refusera, décidément, d’admirer cette magnanimité redoutable, qui, à la moindre velléité de résistance, se change en sauvagerie. Tout voile, aujourd’hui, est déchiré. La culture allemande est, bien réellement, une barbarie savante. Le monde, qui entend désormais secouer tout despotisme, ne pourra composer avec le despotisme de la barbarie.

Quelle déception, pourtant, et quelle douleur ! Car c’est un fait que naguère l’Allemagne fut tenue pour une grande nation. Ses louanges étaient célébrées, en maint pays de solide et haute culture. C’est, il est aisé de s’en rendre compte, que la tradition allemande renfermait d’autres doctrines que celles que nous avons vues se développer sous l’influence de la Prusse. Tandis que le germanisme tel que les Prussiens le formulèrent consiste essentiellement dans le mépris des autres nations et dans la prétention de les dominer, un Leibnitz, par exemple, si estimé dans le monde latin comme dans le monde germanique, professait une philosophie qui n’appréciait l’unité que sous la forme d’une harmonie de puissances libres et autonomes. Leibnitz exaltait le multiple, le divers, le spontané. Entre les puissances rivales, il cherchait à établir des rapports qui les réconciliassent sans altérer ni diminuer la valeur et l’indépendance de l’une ou de l’autre. Tel son effort de réunion des Eglises catholique et protestante. Après Leibnitz, vint Kant, qui, très Allemand à coup sûr, n’en reconnaissait pas moins avoir appris de Rousseau à honorer, par-dessus le savant qui n’a n’autre mérite que la science, l’homme du vulgaire qui, sans être savant, possède la valeur morale. Et, posant en principe que toute personne, en tant que capable de valeur morale, est respectable, il appelle les hommes à créer non une monarchie universelle et despotique, mais une république des nations où chacune possédera une personnalité, libre et indépendante.

Cette disposition à mettre la liberté avant l’unité, à respecter,