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d’enfans, ce n’est pas un sport où il s’agit de doser de telle manière la barbarie et l’humanité, que l’on puisse les concilier et les harmoniser. C’est la barbarie elle-même, déchaînée le plus largement, le plus loyalement possible. Il n’y a point là de perversité. L’homme en tant qu’homme souffre même, à se refaire barbare, mais l’homme qui supplée Dieu refoule les faiblesses et les répugnances de la créature. Il se soumet à la loi mystérieuse et sublime en vertu de laquelle le mal est d’autant plus bienfaisant qu’il est accompli avec plus de résolution et de plénitude. Pecca fortiter !

Le premier article du code de la guerre, c’est donc la suppression de tout ce qu’on appelle sensibilité, pitié, humanité. La guerre a pour but de tuer et de détruire. Plus elle détruit et tue, plus elle se rapproche de sa forme idéale. Elle est, d’ailleurs, au fond, d’autant plus humaine qu’elle est plus inhumaine, puisque la terreur même qu’inspirent ses excès la rend plus brève, et, tout compte fait, moins meurtrière.

La guerre, en second lieu, ignore nécessairement les lois morales. Le respect des lois, des traités, des conventions, la loyauté, la bonne foi, le sentiment de l’honneur, les scrupules, la noblesse d’âme, la générosité sont des entraves : le peuple-dieu n’en admet point. Il violera donc, sans hésiter, le droit des neutres, s’il y a intérêt ; il usera du mensonge, de la perfidie, de la trahison. Il s’autorisera de prétextes futiles ou inventés pour commettre les actes les plus atroces : bombardement de villes ouvertes, massacres de vieillards, de femmes et d’enfans inoffensifs, supplices barbares, vol et assassinat, bestialité à l’égard des femmes, incendies scientifiquement organisés, destruction méthodique des monumens que leur antiquité, leur rôle historique, l’admiration de l’univers semblaient rendre inviolables. « On me l’a dit, il faut que je me venge, » cette raison suffit. On nous a dit que quelque habitant de cette ville ou d’une autre aurait manqué d’égards envers quelqu’un des nôtres, donc il nous faut brûler la ville et fusiller les habitans. Il s’agit, en définitive, de libérer, aussi parfaitement que possible, les énergies élémentaires de la nature, de dégager le maximum de force, et d’obtenir le maximum de résultat.

Cet effet doit, d’ailleurs, être psychologique, autant que matériel. Les actions que les hommes jugent horribles, et qui sèment l’épouvante sont des moyens recommandables, parce