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indifférence. Il ne subsiste de tout ce passé que de rares épaves : c’était faire œuvre pie que de les recueillir. Mais une histoire des images ne va pas sans images. Il fallait reproduire ces rudes enluminures, vénérables monuments de l’âme populaire. C’est ici que l’auteur a rencontré le secours de M. Charles Sadoul et de son admirable Revue lorraine illustrée. De leur collaboration, est sorti un ouvrage qui montre comment on peut travailler en province. On trouvera peut-être que c’est faire trop d’honneur à l’image d’Épinal, que de lui consacrer un in-quarto de luxe. Mais ce serait n’en pas comprendre la réelle importance. Ce que contiennent ces chiffons d’un sou, c’est le cœur même des foules. C’est sous cette forme que les simples ont appris à se figurer les choses et la vie. M. Maurice Barrès l’a dit dans la préface qu’il a écrite pour M. Perrout : l’histoire de l’imagerie est tout un chapitre de l’histoire de l’imagination française.

L’auteur s’est borné à parler de la fabrique d’Épinal. C’est la plus célèbre de toutes. Son nom est devenu celui d’un genre : il est le synonyme d’imagerie populaire. Les images d’Epinal ! Le mot évoque une vision : quelques traits d’un dessin rugueux, bariolés d’un âpre coloriage ; des batailles, des uniformes, des armées de soldats de toutes nations et de toutes armes, des actions d’éclat, le Vengeur, Marengo, les maréchaux de France, Ney, Lannes, Napoléon, ou encore des histoires sentimentales ou satiriques, une morale en images où invariablement on voit le vice puni et la vertu récompensée. Tout cela, en effet, est, à peu de chose près, la création particulière de l’imagerie d’Épinal ; et on peut ajouter : l’invention et le patrimoine de la famille Pellerin.

Les Pellerin n’étaient pas originaires d’Épinal. Quand ils y arrivèrent, au milieu du XVIIIe siècle, l’imagerie était déjà, depuis cent ans au moins, une des branches de l’industrie locale. Il y avait un groupe, une corporation de dominotiers, comme on disait, qui faisaient les papiers peints, les cartes, et surtout ces « saintetés, « d’un aimable rococo, dont M. René Perrout a retrouvé quelques exemplaires. Ce qui est curieux, c’est que cet art, si bien de son temps, est par certains côtés encore d’un autre âge. On s’aperçoit que, dans cette France des Encyclopédistes, dans cette société critique, libertine, voluptueuse, presque rien en réalité n’a encore changé : le peuple en est toujours au XVe ou au XVIe siècle. On est tout surpris, en feuilletant