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volontiers ces mots, que l’on lit dans le Brand d’Ibsen : « Vous voulez de grandes choses, mais vous manquez d’énergie : alors vous demandez le succès à la douceur et à la bonté. » Selon la pensée germanique, la douceur et la bonté ne sont que faiblesse et impuissance. Seule, la force est forte ; et la force par excellence, c’est la science, laquelle, mettant à notre disposition les puissances de la nature, multiplie notre force à l’infini. C’est donc la science qui doit être l’objet principal de nos efforts. De la science et de la culture de l’intelligence scientifique résultera nécessairement, par l’effet d’une grâce divine, le progrès de la volonté et de la conscience, ce qu’on appelle le progrès moral. C’est en ce sens que Bismarck disait : « L’imagination et le sentiment sont à la science et à l’intelligence ce que l’ivraie est à la bonne herbe. L’ivraie menace d’étouffer la bonne herbe, c’est pourquoi on la coupe et on la brûle. » La vraie civilisation est une éducation virile, visant à la force et employant la force. Une civilisation qui, sous prétexte d’humanité et de politesse, énerve et amollit l’homme, ne convient qu’à des femmes et à des esclaves.

Est-ce à dire que la notion de droit, qu’invoquent les hommes pour protester contre la force, n’ait, en réalité, aucun sens, et qu’un peuple hautement civilisé s’en désintéresse ?

Il importe de bien entendre le rapport qui existe entre la notion de droit et la notion de force. La force n’est pas le droit. Toutes les forces existantes n’ont pas un droit égal à subsister. Les forces médiocres ne participent, en effet, que faiblement de la force divine. Mais, à mesure qu’une force est plus considérable, elle est plus noble. Une force universellement victorieuse et toute-puissante ne ferait qu’un avec la force divine, et, par conséquent, devrait être obéie et honorée au même titre que cette force même. La justice et la force se touchent donc en un point, et en un point seulement, là où l’une et l’autre sont absolues.

Justice et force appartiennent, d’ailleurs, à deux mondes différens, le naturel et le spirituel. De celui-ci, celui-là est le phénomène et le symbole. Nous vivons, nous, dans le monde des symboles, et ainsi la force prépondérante est, pour nous, l’équivalent visible et pratique du droit.

Il est donc puéril d’admettre l’existence d’un droit naturel, inhérent aux individus ou aux nations, et manifesté par leurs