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et si, dans les temps modernes, l’Allemagne a paru s’effacer, c’est qu’elle se recueillait pour reprendre des forces et frapper plus fort. Quand elle n’était pas ostensiblement la première, elle l’était virtuellement. C’est en 1841 que Hoffmann von Fallersleben composa le chant national : Deutschland liber alles, über alles in der Welt : l’Allemagne au-dessus de tout, au-dessus du monde entier, l’Allemagne s’étendant de la Meuse au Niémen, de l’Adige au Belt.

Non seulement l’Allemagne est l’élue de la Providence, mais elle est seule élue, et les autres nations sont réprouvées. Le signe de son élection est l’anéantissement des trois légions de Quinctilius Varus ; et sa tâche est de se venger éternellement de l’insolence du général romain. « Nous partons pour livrer la bataille de Hermann, et nous voulons nous venger : » und wollen Rache haben ; ainsi s’exprime le célèbre chant national : Der Gott, der Eisen wachsen liess.

C’est en antagonisme avec la civilisation gréco-romaine que s’est développée la civilisation allemande. Adopter celle-ci, c’était, de la part de Dieu, rejeter celle-là. Donc la conscience allemande, réalisée sans entraves dans toutes ses puissances, n’est autre chose que la conscience divine. Deutschtum = Dieu, et Dieu = Deutschtum. Dans la pratique, il suffit qu’une idée soit authentiquement allemande, pour que l’on puisse et doive conclure qu’elle est vraie, qu’elle est juste et qu’elle doit prévaloir.


En quoi consiste, maintenant, dans ses dogmes essentiels, cette vérité, qui est allemande parce qu’elle est vraie, et qui est vraie parce qu’elle est allemande ? C’est ce que nous expliquent, plus clairement qu’on a coutume de le dire, les métaphysiciens allemands. Le premier devoir de cette vérité, c’est d’être opposée à ce que la pensée classique ou gréco-latine reconnaît comme vrai. Celle-ci s’est appliquée à discerner ce qui, dans l’homme, est proprement humain, et rend l’homme supérieur aux autres êtres, et à chercher les moyens de faire prévaloir de plus en plus, dans la vie humaine, l’élément supérieur sur l’élément inférieur, la raison sur l’impulsion aveugle, la justice sur la force, la bonté sur la méchanceté. Elle s’est donné comme tâche de créer, dans le monde, une force morale capable de gouverner et d’humaniser les forces matérielles. A cette doctrine, qui avait