Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sans frein des forces brutes, de la méchanceté, de la barbarie ! Se vanter de réaliser la forme la plus élevée de la nature humaine, et se révéler comme les survivans des Huns et des Vandales !

Hier encore, l’Allemagne était, dans le monde, redoutée, certes, pour sa puissance, mais estimée pour sa science et son patrimoine d’idéalisme. Aujourd’hui, c’est, contre elle, d’un bout à l’autre de la terre, un même cri de réprobation et d’horreur. La peur est vaincue par l’indignation. De toutes parts on dit tout haut que la victoire de l’impérialisme et du militarisme allemands serait le triomphe du despotisme, de la brutalité, de la barbarie. Ces idées nous sont exprimées par des Américains du Nord et du Sud, par des Espagnols, par des Portugais, par des Italiens, par des Grecs, par des Suisses, par des Roumains, etc. La nation qui a brûlé l’Université de Louvain et la cathédrale de Reims s’est déshonorée.

Que penser du prodigieux contraste qui se manifeste entre la haute culture de l’Allemagne, et la fin qu’elle vise comme les moyens qu’elle emploie, dans la guerre actuelle ? Suffit-il, pour expliquer ce contraste, d’alléguer que, malgré toute leur science, les Allemands ne sont, au fond, que peu civilisés, qu’au XVIe siècle ils étaient encore grossiers et incultes, et que leur science, affaire de spécialistes et d’érudits, n’a pu pénétrer leur âme et influer sur leur caractère ?

Cette explication est justifiée. A part, certes, de notables exceptions, considérez, à la brasserie, dans les relations de la vie ordinaire, dans ses divertissemens, ce savant professeur, qui excelle à découvrir et à rassembler tous les matériaux d’une étude, et à en faire sortir, par des opérations mécaniques, et sans le moindre appel au jugement et au bon sens vulgaire, des solutions appuyées toutes sur des textes et des raisonnemens. Quelle disproportion, souvent, entre sa science et son degré d’éducation ! Quelle vulgarité de goûts, de sentimens, de langage, quelle brutalité de procédés chez cet homme, dont l’autorité est inviolable dans sa spécialité ! Transportez cet érudit, de sa chaire d’université, sur cette scène de la guerre où la force est à même de régner seule, et où les appétits les plus grossiers ont licence de se déchaîner : il n’est pas très surprenant que sa conduite se rapproche de celle des sauvages et des primitifs.