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de la littérature allemandes, je ne serais pas en mesure de vous soumettre, touchant la guerre actuelle, quelques observations. Je vous avoue que les paroles et même les pensées me paraissent bien peu de chose en ce moment ; que, comme tous les Français, je suis tout entier à la tâche présente, que tout mon intérêt va à notre généreuse et admirable armée, et que mon unique souci est de participer, fût-ce de la manière la plus modeste, à l’œuvre nationale. Il est vrai que, malgré que j’en aie, mille souvenirs, mille réflexions se pressent dans mon esprit. L’idée ne me fût pas venue de m’y arrêter et de les exprimer par écrit. Mais j’aurais mauvaise grâce à décliner votre aimable invitation. Vous voudrez bien supprimer ce qui, parmi les idées que je vais jeter sur le papier, est dénué d’intérêt.


Comment, en présence d’événemens tels que ceux qui se passent sous nos yeux, conserver sa liberté d’esprit ? Voilà donc, sommes-nous contraints de nous dire, ce qui est sorti de ce développement philosophique, artistique, scientifique, dont le monde proclamait la grandeur et le caractère idéaliste ! Voilà donc ce qu’il avait dans le ventre, ce barbet infernal, dit Faust voyant se muer en Méphistophélès le chien qui jouait à ses côtés. Quoi ! avoir déclaré insuffisante et médiocre la morale des Platon et des Aristote, avoir prêché le devoir pour le devoir, avoir établi la suprématie inconditionnée de la valeur morale, la royauté de l’esprit, pour aboutir à déclarer officiellement qu’un engagement qu’on a soi-même signé n’est qu’un chiffon de papier, et que les lois juridiques ou morales ne comptent pas, quand elles nous gênent et que nous sommes les plus forts ! Avoir fait entendre au monde une musique merveilleuse, où l’on croyait discerner les plus pures et les plus profondes aspirations de l’âme, avoir érigé l’art et la poésie en une sorte de religion, où l’homme communie avec l’Eternel par le culte de l’idéal, avoir exalté, comme la plus sublime des créations humaines, les Universités, temples de la science et de la liberté intellectuelle, pour en arriver à bombarder Louvain, Malines et la cathédrale de Reims ! Avoir assumé le rôle de représentant par excellence de la culture, de la civilisation sous sa forme la plus haute ; et, finalement, prendre pour but l’asservissement du monde, et tendre à ce but par le déchaînement méthodique