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exemple de lâcheté ; mais c’est aussi une violation cynique du principe en vertu duquel les civils doivent rester en dehors de la guerre. Les Allemands interdisent qu’on y prenne part contre eux, mais ils exigent qu’on le fasse pour eux, pour les protéger, pour les couvrir de son corps et, dans un cas comme dans l’autre, si on résiste, c’est la mort. Voilà ce qu’on a vu dans un grand nombre de villes et de villages belges ou français et contre quoi le cri de l’humanité ne saurait s’élever trop haut et trop fort. Pour les Allemands, il n’y a qu’un droit, le leur, et il n’y a qu’un devoir, qui est de le servir. Qu’on soit Belge ou Français, ou Anglais, ou Russe, peu importe, le devoir est le même : quand un Allemand est en péril, tout est subordonné à l’intérêt de son salut et, comme tout le monde n’est pas disposé à plier sous l’impérieuse injonction de ce nouveau droit des gens, le peloton d’exécution est là, des milliers de cadavres en font foi. Tels sont les plus récens perfectionnemens que les Allemands ont apportés au Code de la guerre : peut-être feront-ils encore mieux à l’avenir.

Ce que nous venons d’en dire s’applique à Louvain et à Senlis : à Reims, l’état-major a donné une autre explication. Il s’est senti atteint, sans doute, par ces quelques mots si brefs, si simples, si clairs qui, dans un communiqué officiel de notre état-major à nous, disaient que l’incendie de la cathédrale ne tenait à « aucune raison militaire. » Il ne pouvait venir à l’esprit d’aucun officier, d’aucun soldat français, de se servir de la cathédrale, soit pour attaquer, soit pour se défendre ; elle était et devait rester neutre par sa nature même, et les Allemands eux-mêmes en avaient si bien eu le sentiment que, pendant qu’ils occupaient la ville, ils y avaient déposé leurs blessés. Ils semblaient croire alors que ces blessés seraient là en sécurité, et en effet ils n’y couraient aucun danger de notre part. Un drapeau d’ambulance avait été mis sur l’édifice qui, de ce fait, devenait deux fois sacré. Quelle n’a pas été la stupeur des habitans de Reims lorsqu’un jour, à n’en pouvoir douter, ils ont vu que les Allemands, sortis de la ville, dirigeaient sur la cathédrale un obus de leur artillerie lourde ! Au premier moment, ils ont hésité à y croire, mais bientôt il a fallu se rendre à l’évidence, car les obus se multipliaient. On s’est empressé de retirer les malheureux blessés de leur refuge : le feu prenait déjà à la paille sur laquelle ils étaient couchés. Plusieurs des religieuses qui les transportaient ailleurs ont été blessées. Comment expliquer cet acte monstrueux ? L’état-major allemand a prétendu que les tours de la cathédrale avaient servi à un but militaire, qu’on y avait établi un