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vrai, le sac de Louvain n’en serait pas justifié. Rien n’autorise à rendre toute une population responsable de l’imprudence de quelques-uns et parfois même d’un seul. Eh quoi ! parce qu’un coup de feu aurait été tiré contre une troupe allemande, toute une ville pourrait être détruite et sa municipalité fusillée ! On sait ce qui s’est passé à Senlis. Le maire, M. Odent, apprenant l’arrivée prochaine de l’ennemi, avait fait réunir à la mairie toutes les armes qui existaient dans la commune. Les ordres étaient formels, ils avaient été exécutés. Peut-être un fusil avait-il échappé ; qui pourrait en répondre ? Peut-être un coup de feu est-il parti d’une fenêtre : qui aurait pu l’empêcher ? Nous ne savons pas si le fait s’est produit ; les Allemands le prétendent, mais on sait ce que vaut leur parole, et le cas qu’ils en font eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, cette mauvaise raison leur a suffi, là aussi, pour incendier la plus grande partie de la ville et fusiller le maire. Ils se sont servis du même argument qu’à Louvain. Mais, à supposer que l’argument repose sur une donnée exacte, encore faudrait-il savoir quelle est ici sa valeur propre.

On dit qu’en temps de guerre les armées seules ont le droit de se battre, et que la population civile a le devoir strict de ne prendre, ni de près ni de loin, aucune part aux opérations. L’histoire cependant a admiré autrefois le courage de la population d’un pays ou d’une ville qui, tout entière, a pris les armes pour chasser l’ennemi. Aujourd’hui, la population civile doit s’abstenir et on assure que la guerre en est devenue plus humaine. C’est sans doute en vertu de cette règle que des soldats allemands ont fusillé un malheureux enfant qui s’était contenté de dire : « Voilà l’ennemi ! » Il n’avait pas le droit, paraît-il, de donner aux siens cet avertissement et, puisqu’il l’avait fait, rien que la mort n’était capable d’expier un tel forfait ! Cet exemple montre qu’il y aurait quelques éclaircissemens, explications, atténuations surtout à apporter au principe absolu de l’abstention obligatoire de la population civile et quelques limites aux représailles qu’on peut exercer contre elle dans le cas où la règle serait enfreinte. Mais si cette règle impose des obligations aux uns, ne doit-elle pas aussi en imposer aux autres, en imposer à tous, aux militaires comme aux civils, et que dire d’une armée qui, après avoir interdit aux civils d’intervenir dans les opérations militaires, prend de force des femmes et des enfans et les fait marcher devant elle pour lui servir de bouclier contre les coups de l’ennemi ? Le cas s’est présenté fréquemment dans cette guerre atroce ; il a été constaté par de nombreux témoins ; il ne saurait être mis en doute. C’est là sans doute un bel