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ces phrases, — remarquables, oui, — donne déjà un aperçu des intentions qu’avait l’auteur ; l’auteur est un idéologue passionné, qui traite les idées comme des vivantes, qui les mène avec entrain. D’ailleurs, elles le mènent aussi : ce n’est pas pour lui déplaire. Seul, Tiberge l’ennuie ; Manon, jamais : sa Manon, la changeante idéologie.

Mais lisons les Caves du Vatican. Franc-maçon que les rhumatismes tourmentent, M. Anthime Armand-Dubois est un savant réputé. Il dissèque de petits animaux et il étudie leurs « tropismes » ou réflexes. Bien entendu, il n’est pas le premier à chercher dans les phénomènes de velléité inconsciente les principes de toute activité spirituelle. Peu importe : il a inventé le mot de « tropismes » et aussitôt la science universelle compte sur lui. Quant à ses rhumatismes, qui lui font tressauter les épaules et l’obligent à ne point marcher sans une petite béquille, il va les confier aux soins d’un spécialiste romain, l’an 1890, sous le pontificat de Léon XIII. A Rome, il continue d’écorcher, d’aveugler, de martyriser et de soumettre aux tortures de la méthode expérimentale les rats, les oiseaux, les grenouilles que lui apporte un gamin, Beppo, « procureur-né, » qui « aurait fourni l’aigle ou la louve du Capitole. » Anthime a un adversaire en la personne de sa femme ; celle-ci, émue de pitié, nourrit en secret les bestioles que le savant condamne à jeûner. Ainsi, elle fausse les tables d’observations. Querelles, et admirablement vulgaires. La vulgarité qui entoure la philosophique besogne d’Anthime est énorme et drôle. Anthime est dérisoire ; et les ridicules d’un tel savant déconsidèrent l’idole scientifique. Arrivent à Rome les Baraghoul : Mmes de Baraglioul et Armand-Dubois sont les deux sœurs. Ces Baraglioul, des gens « très bien pensans. » L’auteur ne leur a point épargné les moqueries dont il accable son franc-maçon d’Armand-Dubois. Quelle satire ! L’auteur invente ses personnages, les habille comme des marionnettes pour jeu de massacre et, sans retard, il les assomme de ses balles, lancées dru, en riant fort. Il ne ménage ni les uns ni les autres. Et que leur veut-il ? J’avoue qu’on se le demande un peu. Il n’a pas moins de cruauté pour ces enfans de son imagination qu’Anthime pour les rats et grenouilles de Beppo. Mais Anthime songe à la science. A quoi songe M. André Gide ? Nous le saurons de mieux en mieux. Pour le moment, sa férocité nous inquiète et nous divertit. Pour le moment, nous croyons pressentir que l’auteur a des projets ; et, ses projets, nous ne les devinons pas. Nous constatons avec plaisir que le symbole de ses conclusions prochaines et encore mystérieuses l’amuse et nous amuse. En attendant que se traduise le rébus, le rébus est un joli