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sérieuse, mais qui est certainement moins préoccupante pour la France et ses alliés que pour leurs adversaires.

Le public porte sa part de responsabilité dans le trouble qui s’est manifesté à la fin de juillet et au commencement d’août. Aux premiers bruits de guerre, un très grand nombre de cliens se sont précipités aux guichets des banques et ont retiré des sommes considérables. Certes, il est naturel qu’un père de famille, à la veille d’événemens graves, se hâte de mettre de côté une somme d’argent suffisante pour assurer la nourriture et les besoins élémentaires des siens. Mais les accumulations de monnaie se sont produites en quantités bien supérieures à ces besoins : c’est par centaines de milliers de francs que de simples particuliers ont thésaurisé et accumulé dans leurs serres des espèces métalliques et des billets de banque. Ces instrumens de paiement ou de crédit sont ainsi retirés de la circulation au moment même où celle-ci en aurait le plus grand besoin. Il en résulte un affaiblissement des banques, dont le rôle unique n’est pas de transformer en monnaie, à première réquisition, la totalité des dépôts qui leur sont confiés, mais qui doivent bien plutôt servir d’intermédiaire au plus grand nombre possible de citoyens, en leur permettant de régler, par des transferts, leurs dettes et leurs créances réciproques.

Que l’on considère l’Angleterre, où les dépôts de banque atteignent 25 milliards de francs ; les États-Unis, où ils dépassent 80 milliards ; que l’on mette ces chiffres en présence du stock monétaire des deux pays, et l’on se convaincra aisément que personne ne s’y attend à recevoir, à première réquisition, en espèces, la totalité des sommes qui figurent à son crédit. Et cependant, les cliens de ces établissemens britanniques et américains laissent sans crainte leurs milliards entre les mains d’établissemens par l’intermédiaire desquels ils règlent quotidiennement d’innombrables transactions. La cité de Londres a eu, dans les premiers jours d’août, elle aussi, ses heures de panique. Mais elle n’a pas tardé à se ressaisir. Jamais les dépôts à la Banque d’Angleterre n’avaient atteint les chiffres que révèlent les derniers bilans. Particuliers et banques comprennent qu’ils ont un égal intérêt à laisser dans la circulation les sommes qui leur appartiennent : loin de thésauriser, ils laissent ce qu’ils ont de disponible entre les mains de l’établissement régulateur, dont l’action bienfaisante doit faire mouvoir le mécanisme financier