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demander aux théologiens des vieux siècles les maximes fondamentales d’un code de justice internationale. A vrai dire, les jeunes nationalités dont l’effervescente ambition prévalut aux XVe et XVIe siècles sur l’idée de chrétienté firent bon marché de ces maximes et les reléguèrent peu à peu dans un injuste délaissement. Les âmes éprises de pacifisme se flattent de connaître les songes lénifians du bon abbé de Saint-Pierre, qui ne fut rien moins qu’un homme d’Eglise ; quant aux maximes de morale internationale qui, parsemées ou codifiées dans les Sommes médiévales, avaient devancé Grotius et l’avaient peut-être dépassé, elles sont tombées dans un tel oubli que, depuis trois siècles, l’Eglise a vu se dérouler en dehors d’elle le vaste mouvement intellectuel qui tendait à la fixation d’un droit des gens. Et, cependant, des institutions comme la Paix de Dieu, la Trève de Dieu, ne furent pas, en leur temps, le caprice bénévole et momentané de quelque Pontife à l’âme sensible, mais les épisodes d’un plan d’ensemble par lequel l’Eglise avait essayé, non seulement d’atténuer les maux de la guerre, mais même de légiférer sur elle.

L’Eglise, de par son expérience des âmes, connaît trop les inévitables conséquences de la faute originelle, pour avoir cette illusion que la guerre puisse jamais être complètement abolie ; elle en parle plutôt comme d’une expiation qui peut devenir, par la vertu même de l’épreuve, une force de relèvement et de renouveau ; et ce n’est point elle qui s’abandonnera jamais aux berquinades d’un pacifisme utopique. Le pacifisme d’un Fénelon convient à cette Salente qu’édifiaient avec complaisance les jeux d’esprit du prélat, à cette Salente dont l’architecte était l’involontaire précurseur de Rousseau, et dans laquelle il semblait bien que les hommes fussent exempts du premier péché. La grande pensée chrétienne n’a jamais construit des Salentes ; mais prenant le monde tel qu’il est, envisageant dans toute leur intégrité les volontés de Dieu sur le monde, et consciente enfin du droit qu’elle a de proclamer certaines règles de justice, elle s’appliqua, durant tout le moyen âge, à définir ces règles, non seulement pour les rapports entre les individus, mais pour les rapports entre ces membres collectifs de la chrétienté qui s’appellent les peuples. Les rêves fumeux d’un certain pacifisme pourraient être, tout à la fois, assagis et satisfaits par certaines pages de saint Thomas ou d’Henri de Suse, de saint Antonin