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Il est rare que la pourpre romaine, à peine posée sur les épaules d’un prélat, s’en détache, triomphalement, pour faire place aux vêtemens qui sont ceux du Pape. Son Eminence le cardinal Jacopo della Chiesa, deux cent soixante et unième successeur de saint Pierre, a connu cette insigne destinée. En moins de quatre mois, il vit descendre vers lui l’une des dernières pensées de Pie X, désireux de rendre tout son lustre au siège de Bologne, et puis monter vers lui les acclamations des cardinaux électeurs. La longévité de Pie X fut heureusement assez robuste pour qu’il eût le temps de rendre papabile, au moins en dernière heure, celui qui devait être le Pape du lendemain.

Des indiscrétions qui feignaient d’avoir pu traverser les imperméables parois du Conclave mentionnèrent, deux jours et demi durant, un duel engagé entre certaines tendances, duel ardent, enflammé. Un seul fait est certain : c’est que la petite fumée traditionnelle qui annonce que l’élection du Pape n’a pu encore avoir lieu, vint délier à plusieurs reprises, pendant deux matinées et deux soirées, l’impatiente curiosité de cette foule, qui attendait qu’un Pape fut nommé et qu’on proclamât son nom. Cette fumée trouva des commentateurs avertis, qui conclurent qu’il y eut dans l’auguste assemblée certaines aspirations lentes à capituler, certains conflits lents à s’apaiser. Mais les cardinaux se sont tus, et même les conclavistes ; et lorsqu’on étudie du dehors les résultats du Conclave, lorsqu’on sait l’imposante majorité qui porta Benoit XV sur la chaire de saint Pierre, on en peut induire que son élection ne fit en définitive ni vainqueurs ni vaincus, et qu’elle sanctionna la prépondérance toute naturelle, toute spontanée, d’un courant dont l’Eglise entière savait la puissance et sentait l’opportunité.

On a vu des conclaves, assez lointains déjà, aboutir au choix d’un cardinal qui s’était longuement signalé, sous le pontificat antérieur, par un suggestif effacement, par un éloquent mutisme ; il pouvait y avoir quelque chose de pénible, et même de troublant, pour les consciences chrétiennes, dans l’éclat des reviremens que de pareils choix semblaient présager. A l’époque contemporaine, la sagesse des Eminentissimes électeurs met l’Église à l’abri de ces épreuves. L’esprit de parti, que déchaînent