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alors que le gouvernement fédéral s’était également proclamé neutre, plusieurs emprunts japonais ont été émis à New-York : 25 millions de dollars en mai 1904, 30 millions au mois de novembre suivant, 75 millions en mars 1905. Aux mêmes dates et pour des sommes égales, des émissions japonaises étaient faites parallèlement à Londres ; une partie du troisième emprunt fut placé en Allemagne. Durant la même guerre, des rentes russes furent souscrites à Paris pour 500 millions de dollars. Aucun des belligérans n’a considéré que ces divers emprunts fussent incompatibles avec les devoirs des neutres. La récente déclaration du secrétaire d’Etat M. Bryan est en contradiction avec ce précédent. La manifestation de l’opinion gouvernementale « que des prêts consentis par des banquiers américains à un belligérant est inconciliable avec le véritable esprit de neutralité, » a une portée considérable. Nous ne voyons pas comment une maison quelconque tenterait une opération de ce genre, frappée par avance du blâme présidentiel.

On comprend les recommandations adressées par M. Wilson à ses concitoyens. Un exemple récent nous autorise toutefois à penser qu’il aurait le droit de porter un jugement sur le conflit actuel. A propos des affaires mexicaines, le président des Etats-Unis a pris une attitude intransigeante vis-à-vis du général Huerta et a refusé de le reconnaître comme chef du pouvoir, par le motif qu’il s’était rendu coupable, ou tout au moins complice de l’assassinat de son prédécesseur Madero. Actuellement, l’un des belligérans méconnaît, de la façon la plus flagrante, les lois de la guerre, les traités de neutralité, les conventions de Genève et de la Haye. N’y a-t-il pas là des raisons suffisantes pour que l’homme éminent qui préside aux destinées d’une Puissance de premier ordre, à laquelle lui-même assigne des devoirs du caractère le plus élevé, fasse connaître aux habitans de la terre le jugement qu’il porte sur la façon dont la guerre est conduite ? Il doit, à l’heure qu’il est, avoir en mains assez de rapports de ses ambassadeurs pour que son opinion soit arrêtée. Le temps n’est-il pas venu pour lui de la proclamer au nom de l’humanité, à la face du ciel et des nations ?


RAPHAËL-GEORGES LEVY.