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le secoua toute la nuit. Versari, le trouvant très oppressé et très accablé, le lendemain 14, lui mit les sangsues, mais se refusa encore à reconnaître la rougeole, bien que l’éruption eût déjà commencé. Le 14 au soir, étouffement, nouvelle saignée ; le seul soulagement du malade était la présence constante de son frère, qui lui lisait les journaux pour l’amener au sommeil ou pour le détourner au moins de l’idée de son mal. Cette dernière consolation lui manqua le lendemain 15 ; Versari avait cette fois reconnu la rougeole, trop tard pour la soigner et surtout pour la guérir ; le malade lui-même, par crainte de la contagion, n’admettait plus que son frère s’approchât de son lit. Le 17 au matin, déjà, la vie l’abandonnait ; il ne voyait plus la fenêtre ; trois jours de jeûne, de souffrance et d’insomnie l’avaient mis au dernier degré de l’épuisement, sans qu’il cessât de suivre au plus près les progrès de son mal. Il demanda à Versari la vérité sur son état, et Versari ne put la lui dire, parce qu’il ne la démêlait pas. Roccaserra, gagné à demi par l’assurance du docteur, vaquait seul alors aux soins du malade. Vers midi, épouvanté du changement qui s’était fait depuis le matin, il courut encore chercher Versari, ne put le convaincre, revint seul, et trouva au retour le valet de chambre aux abois qui appelait à l’aide de tous les côtés. L’agonie commençait. Roccaserra ne voulut pas que Louis en fût témoin, le renvoya chez M. Baratti, fit appeler un prêtre, et, le moribond ayant été administré, resta seul au chevet pour recueillir le dernier soupir.

Des bruits sinistres circulant dans la soirée à l’endroit de cette mort, et l’ignorance dont Versari avait fait preuve ne permettant pas de les réfuter de façon certaine, il fut décidé qu’une autopsie était nécessaire. Elle eut lieu le 18 mars, en présence d’un magistrat de la ville, du chimiste Montera, ami du prince, de deux médecins, de deux chirurgiens. Le corps repose depuis dans une caisse de zinc doublée d’une bière en noyer massif.

Dans les conjonctures où nous sommes et l’entrée des Autrichiens dans Forli étant attendue d’un instant à l’autre, la cérémonie funèbre ne peut plus se faire ailleurs qu’en cette ville ; la mère ni le frère ne pourront s’y rendre, et c’est là sans doute un chagrin de plus. Mais, au moins, rien ici ne les menace ; le souci de leur sécurité personnelle n’empoisonne pas leur douleur et ne vient pas se mêler à leurs regrets. Je le dis à la Reine : elle aurait pu être plus malheureuse encore ; elle aurait pu se voir