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Rosselli les a rejoints à Forli ; le 15 il rapporte une lettre de Louis qui dit Napoléon au lit depuis le 10 avec un gros rhume. Ils ont quitté Bologne le 6 mars avec les généraux Armandi et Grabinski ; MM. Cataneo et Roccaserra les accompagnent. Ils étaient le 7 à Imola, le 8 à Faenza ; l’armée se renforçait d’un bataillon d’étudians dit : légion de Pallas. Grabinski, qui commande à Forli, a défendu à Louis de se porter à Lugo sur la première ligne.

Cette journée du 15 est aigre et froide. Nous faisons à pied le tour des remparts, d’où le vent nous chasse à la fin dans l’intérieur de la ville. La pauvre mère songe à son fils ainé malade ; aucune place ne lui est bonne. Toute la soirée et toute la nuit, des convois militaires traversent la ville ; les conducteurs s’arrêtent à notre auberge ; on entend des « Qui vive ? », des cris, des appels. Il arrive des courriers, mais aucun d’eux n’apporte ce que la Reine attend : des nouvelles de ses enfans. Vers minuit, j’entends quelqu’un qui vocifère : il s’agit d’un paquet très secret, qui ne doit être remis qu’à la Reine Hortense. Je descends en hâte et m’informe. C’est le commandant de place en personne. Ce qu’il apporte, c’est la collection complète des proclamations du général Armandi !

Un comte Campello, chez qui les Princes ont logé, vient raconter le 16 à la Reine l’expédition de Napoléon dans la montagne de la Sabine, contre les brigands armés par le Pape ; il dépeint l’admiration des habitans de Terni pour leur jeune et beau défenseur. « N’est-ce pas, me dit-elle ensuite, toute radieuse, n’est-ce pas qu’il a figure de général ? — Oui, Madame, et de souverain ! »


Pesaro, 20 mars.

Le prince Napoléon est mort le jeudi 17 mars à trois heures de l’après-midi...

La plume devrait me tomber des doigts au moment où j’écris ceci. Il était l’amour, la joie, la gloire et le bonheur des siens ; il en était l’espoir et l’orgueil ; et cependant, devant un deuil si grand, mes yeux sont secs, mon cœur est calme. C’est que je l’ai trop pleuré déjà ; c’est que, pendant les vingt-quatre heures de cet affreux voyage, j’ai trop lutté et j’ai trop souffert ; je retombe dans cette insensibilité, dans cette sécurité où nous nous laissions vivre ailleurs, tandis qu’il agonisait ici...