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a dû faire ensuite le même mensonge. Mais l’effet de notre détour a été que Fritz s’est perdu dans toutes sortes de rues inconnues. Arrivées à la nuit close, nous avons vu avec désappointement que toute notre comédie avait été inutile. L’homme de la police s’était contenté d’inscrire le nom de Mrs Hamilton sur son registre et n’avait pas fait viser le passeport !

Notre route du 12 nous faisait remonter la pittoresque vallée de l’Arno jusqu’à Arezzo. La Reine tenait sa carte déployée sur ses genoux ; nous faisions toutes les deux des calculs d’après les distances, et trouvions qu’il fallait au moins trente-six heures aux princes pour venir de Forli à Foligno. La sollicitude de la mère s’émouvait surtout pour Louis, dont elle considère l’étoile comme moins heureuse et qu’elle juge être le moins prudent des deux.

Arezzo est la patrie de Pétrarque et l’on y montre encore sa maison. Malgré le temps ravissant et tout l’agrément de notre voyage, la fatigue des jours précédens nous a forcées de prendre là un peu de repos. Nous dépassâmes Cortone, une des douze villes d’Étrurie, ceinte encore de murs imposans, et laissâmes à droite la route qui conduit à Chiusi, autrefois Clusium, l’antique capitale de Porsenna. Comme elle mène aussi à Sienne, nous eûmes soin de noter sur la carte le lieu d’où elle part et qui s’appelle Camoscia.

On ne peut voir une nature plus admirable que les environs de ce lac de Trasimène, si célèbre par la victoire d’Annibal et aux bords duquel dix mille soldats romains perdirent la vie. Voilà un assez grand carnage pour que deux mille ans plus tard, en 1831, la guerre n’eût pas dû revenir visiter ces beaux lieux. Cependant, elle était dans l’air, elle nous entourait depuis que nous avions franchi la frontière. Nous étions au milieu des insurgés et voyions rayonner sur les visages l’allégresse martiale de la liberté. Femmes, enfans, vieillards, tous portaient la cocarde et les rubans tricolores ; ils l’avaient fait prendre à notre courrier. Partout la Reine était reconnue, acclamée ; elle retrouvait, dans ces bourgades perdues, quelque chose de la gloire qu’elle a connue en de meilleurs jours.

Comme nous arrivions à Pérouse, M. Guardabassi, commandant de la garde nationale, conférait au château avec le comte Pepoli, au sujet de munitions demandées pour l’avant-garde de Terni. La Reine a voulu les voir l’un et l’autre ; il lui fallait de