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invariable dans sa triste assurance, dit d’où lui venait sa certitude et quel avertissement du ciel elle avait reçu.

Elle avait une prédilection particulière pour cette petite chapelle de la Vierge, au pont de l’Arno, dont la clochette me réveillait chaque matin à six heures, lors de notre séjour du mois de novembre. Elle ne passait pas devant ce sanctuaire sans faire un signe de croix et sans former en même temps un vœu affectueux à l’adresse de quelqu’un des siens. Or, la veille du jour où Napoléon devait partir, le hasard les porta tous deux de ce côté et elle fit son signe de croix, en pensant à ce voyage. Son mari lui demandant si elle ne l’accompagnerait pas, elle n’attacha d’abord à ces paroles aucune importance, ne soupçonnant pas qu’il lui eût menti et croyant qu’il ne s’agissait que de venir jusqu’à la seconde poste au-devant de nous. Le lendemain, il était parti de bonne heure : elle apprit avec effroi que la chapelle s’était écroulée dans la rivière pendant la nuit. Elle sentit en même temps que quelque chose se rompait en elle et que tout son passé la quittait. Le soir, l’absence de Napoléon, son silence, la solitude où il l’avait laissée la confirmèrent dans ses appréhensions.

J’ai protesté aussitôt que je ne croyais pas aux pressentimens, moi qui en étais bourrelée pendant tout notre séjour de Rome, et j’ai réussi à changer le tour de la conversation en remettant sur le tapis la question des chevaux. Un premier moyen qu’on a essayé pour les faire parvenir aux princes et qui s’est trouvé mauvais, a été d’envoyer Fritz courir après un voiturier en route pour Bologne. Fritz a manqué son homme et est revenu, à dix heures du soir, abominablement gris.

La Reine avait alors dans son salon plusieurs personnes, le peintre Boulanger, un autre nommé Bigan, qui s’est battu aux journées de Juillet et qui y a été blessé, des ultras, plusieurs Italiens. Comme toujours, les nouvelles politiques étaient contradictoires ; l’état des affaires et l’aspect des choses changeaient d’instant en instant, selon les opinions des gens, leur langue, leur caractère ou leurs instincts. Tantôt l’intervention était un fait accompli, et la France elle-même y prêtait les mains. Tantôt on apprenait qu’à la suite des conférences du maréchal Maison avec l’empereur d’Autriche, la non-intervention était promise. Une chose était sûre, c’est qu’après avoir franchi le Pô et fait mine d’entourer Bologne, les Autrichiens paraissaient hésiter,