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résistance par la garnison. De là, il courait lui-même à Bologne ; mais n’espérant point disputer la ville aux Autrichiens, il en faisait sortir l’armée, pour la disposer face aux débouchés du Pô sur une ligne d’observation passant par Faenza, Lago, Ravenne, avec une réserve à Forli. Dès lors, les insurgés avaient deux fronts de défense, l’un contre les Autrichiens, l’autre contre les pontificaux. Grabinski commandait au Nord ; Sercognani, au Sud ; Armandi, dans l’intervalle, ne commandait rien, mais dirigeait tout. Dans cette situation précaire, ils espéraient encore le secours de la France et se tenaient cois par crainte de recevoir d’un instant à l’autre le choc des Impériaux.

Dès lors, Bologne n’était plus qu’une souricière où nos princes pouvaient être pris dans leur lit un beau matin. Le gouvernement provisoire avait eu la maladresse d’y signaler leur présence en leur conférant des grades dans la garde nationale. Armandi fit aussitôt annuler cette mesure, propre à les donner pour point de mire aux Autrichiens. Il écrivit de nouveau à la Reine pour l’assurer qu’en cas de danger, il les enverrait à Ravenne, chez leur cousin Rasponi. Mais elle savait aussi qu’alors ils refuseraient d’obéir, parce que le danger même les lierait davantage à leur cause, devenue plus malheureuse et qu’elle seule, la mère, pourrait les en détacher.

Elle formait donc le projet de se rendre à Ancône et d’y tout préparer en vue d’un embarquement pour Corfou. Là, elle attendrait les événemens, suivrait de plus près les démarches de ses enfans et serait à portée de les recueillir en cas de malheur. J’observais à cela qu’encore fallait-il qu’ils pussent la rejoindre. Or, malgré leurs réclamations constantes, le roi Louis avait toujours refusé de leur envoyer des chevaux, pensant par là les amener à résipiscence. Des chevaux, à ses yeux, n’étaient que des armes et des instrumens de guerre ; mais, en cas de retraite, n’était-ce pas là aussi un moyen de salut ? Mon avis fut qu’il fallait passer outre à la défense paternelle, et leur expédier quand même les deux montures du prince Louis. La Reine n’osant prendre cette résolution sur elle, la question fut portée devant le comité féminin réuni autour du sofa de la reine Julie. Je parlais, et la princesse Charlotte, les yeux fixés au plafond, ne m’écoutait pas. « Jamais je ne reverrai Napoléon, n dit-elle tout à coup sur le ton d’une ferme conviction. « Tais-toi, Charlotte ! » s’écria la Reine, « tu me déchires le cœur ! » La princesse,