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et l’autre, fortes de quelques milliers d’hommes, n’étaient qu’un ramas de volontaires sans discipline et presque sans armes ; elles n’avaient ni cavalerie, ni artillerie. Nos princes prirent dans ce tas ceux qui portaient des fusils de chasse, ou des piques ou des faulx (les autres n’avaient que des cocardes). Avec une poignée de ces soldats improvisés, le prince Louis marchant par la grande route qui va de Terni à Narni, Civita Castellana et Rome, se porta jusqu’aux avant-postes d’Otricoli. Là il eut le 24 un petit engagement avec les troupes papales les plus avancées. Des retranchemens avaient été élevés en ce point. Il les fit rectifier, à l’admiration d’un colonel, qui ne pouvait supposer dans un si jeune homme tant de talens.

Pendant ce temps, le prince Napoléon, à la tête de quelques volontaires à cheval, suivait la route directe de Terni à Rome par la montagne. Il rencontra un détachement de forçats armés au nom du Pape, avec lesquels il fit, dit-on, le coup de sabre, ce qui lui valut d’être acclamé lors de son retour à Terni.

Les deux frères sont ainsi en première ligne, en pleine évidence, et placés de manière à causer des malheurs irréparables, s’ils prenaient l’initiative des opérations. Fort heureusement, ils ont évité la faute qui paraissait à craindre de la part de têtes aussi chaudes : celle de marcher sur Rome, en attaquant les pontificaux. Une fois dans la plaine romaine, ils se seraient heurtés à la forteresse de Civita Castellana, qu’ils n’ont aucun moyen de réduire ; ils n’auraient pu ni camper, ni vivre et, bientôt entourés par les paysans, se seraient vus reconduits là d’où ils étaient venus. Le seul plan raisonnable pour eux était de se maintenir sur la position qu’ils occupent, et d’y faire figure de résistance, pour amener le gouvernement papal à composition.

En dépit de la sagesse dont ils ont fait preuve, l’idée qu’ils sont maintenant en lutte ouverte avec le Pape a jeté le pieux roi Louis dans le désespoir. Il a fait appeler la Reine dès avant la messe dans la matinée de dimanche, la suppliant encore de partir et de lui ramener ses enfans. De guerre lasse, elle lui a presque promis d’aller jusqu’à la frontière, de les appeler à elle et de les raisonner de son mieux. Le Roi voulait qu’on leur tendit par surcroît une petite embuscade. Ce moyen est enfantin ; la Reine, résignée et sans résistance, n’en a pas moins demandé sur-le-champ ses passeports.