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Tout cela nous serre le cœur et nous fait toutes petites devant les étrangers. Mais au moins il nous vient des Français pour en pleurer avec nous. Nos amis Roger et Bonnefond arrivent à Florence aujourd’hui. Le premier quitte Rome avec désespoir, tant pour ses intérêts que pour ses affections peut-être, car il a l’air tout démoralisé. Ils croient à une nouvelle révolution chez nous, tant le gouvernement de Louis-Philippe est faible, et parlent de revenir alors à Rome « avec l’armée. » Une guerre générale leur paraît désirable, comme pouvant seule dénouer les problèmes que l’Europe agite et donner le baptême du sang aux peuples qui naissent à la liberté.

Restée seule avec moi, la Reine bâille tant et plus, par manque de sommeil, dit-elle. Moi je dis : Par manque de plaisir et par excès d’ennui.


Mercredi, 2 mars.

Un jeune professeur, ami des Princes, qu’on leur avait dépêché, est revenu dimanche en rapportant sur eux des détails qui ne laissent subsister aucun doute sur leurs intentions. Ils ont pris des engagemens et se sont liés par des promesses auxquelles ils ne veulent pas forfaire.

C’est particulièrement Ciro Menotti qui les a entraînés, en venant de Modène à Florence le mois dernier exprès pour les convaincre et pour refaire avec eux ce qu’il n’avait pu faire avec son duc. Ce dernier, prince autrichien, inspirait aux patriotes italiens une méfiance légitime. Le nom de Napoléon, au contraire, disait Menotti, serait salué avec enthousiasme par toute l’Italie le jour où son neveu viendrait se placer à la tète des insurgés. Depuis, l’intempestive explosion de Modène, éclatant quand rien n’était prêt ailleurs, a refroidi quelque peu l’ardeur de nos jeunes gens. Napoléon-Louis n’en a pas moins cédé à son « mauvais sujet » de frère, et quitté Florence avec lui le 20 février, la veille même du jour où nous y arrivions.

De grandes démonstrations de joie les accueillirent à Spolète, puis à Terni, où ils s’étaient rendus d’un seul trait, alors que nous les croyions encore à Foligno. Les insurgés disposaient dans ces localités d’une sorte d’avant-garde, commandée par le colonel Sercognani, alors que le gros de l’armée constitutionnelle, aux ordres du colonel Armandi, était encore à quatre grandes journées de marche en arrière autour d’Ancône. L’une