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toute la matinée, ne faisait que de partir ; elle découvrait, en raisonnant sur lui, mille choses qu’après deux heures de recommandation elle avait oublié de lui dire, quand on a annoncé le roi Louis. Je me suis sauvée dans ma chambre en emportant mon assiette.

Une de nos connaissances de Rome, M. Capotasto, m’y a bientôt rejointe. Il a quitté la ville sainte « par prudence » et s’est mis en route en même temps que nous. Si cette visite était inutile, elle tombait du moins à une heure où la Reine s’en trouvait débarrassée. Mais plût à Dieu que nous eussions pu changer de rôle, elle et moi, et qu’elle n’ait eu affaire dans l’instant qu’à un ennuyeux ! Le roi Louis la tourmentait impitoyablement. Il avait imaginé qu’elle allât elle-même chercher ses fils dans le camp des insurgés. En vain représentait-elle qu’elle ne pouvait pas agir en mère de famille ordinaire, que cet acte de tendresse aveugle serait téméraire, que son voyage quoi qu’elle fît, serait remarqué ; les révolutionnaires en seraient encouragés, les cardinaux en prendraient ombrage ; on disait d’elle qu’elle avait fourni de l’argent, qu’elle avait distribué des drapeaux ; elle se serait compromise, et elle n’aurait pas sauvé ses enfans.

Elle ajoutait que tous les Bonaparte seraient alors fondés à se plaindre d’elle, car elle les aurait tous brouillés avec le Pape. Aux yeux tout simples des insurgés italiens, elle paraîtrait avoir agi en Française et engagé cette parole de la France, que Paris leur refuse, sur laquelle ils s’obstinent à compter. Par là, elle leur aurait fait concevoir de fausses espérances, en prenant de lourdes responsabilités. Plus encore elle aurait fourni ce prétexte d’intervention, à l’affût duquel se tient l’Autriche pour rendre l’État romain à son ancien servage. Ainsi, paraissant d’une main travailler avec ses enfans, et de l’autre défaire leur ouvrage, elle se serait posée en mauvaise mère, en mauvaise Française et en fille indigne de l’Empereur.

Sur tout cela, le Roi refusait d’entendre ; il y a décidément, comme dit la Reine, « une case vide dans certains cerveaux. » Elle se résignait à attendre le retour du courrier qu’il a envoyé à ses fils et qui doit nous rapporter aussi les dernières nouvelles de M. de Bressieux. Un autre courrier repartait pour Rome ; il avait conduit au roi Louis le jeune conspirateur Jérôme et retournait chez les Montfort. Nous l’avons chargé de lettres pour