Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
L’ALSACE-LORRAINE ET L’ALLEMAGNE.

enfin, que la Lorraine parlât dès le Xe siècle le roman, la langue de Gaule (gallica lingua) et non le teuton ou tudesque, les témoignages contemporains en font foi. À Toul, à Metz, le teuton est lingua barbara. De l’aveu d’un chroniqueur saxon, Widukind[1], le français est la langue maternelle des Lorrains. Ce dernier témoignage est particulièrement curieux, il est d’une stupéfiante actualité. Il prouve que les Allemands d’aujourd’hui, dans leurs subterfuges de guerre, ne font qu’imiter leurs barbares ancêtres. Widukind raconte qu’en 939, à la bataille de Birthen, où le duc Giselbert combattait contre Otton Ier, des Saxons qui savaient un peu de français (qui Gallica lingua ex parte loqui sciebant) se mirent à pousser en cette langue un grand cri de sauve qui peut, comme s’il partait du rang des Lorrains, et provoquèrent ainsi une panique. — C’était, mille ans par avance, la sonnerie française à l’aide de laquelle les Germains viennent d’essayer de tromper nos soldats !

Il importe maintenant de remarquer — M. Parisot l’a constaté comme un fait singulier — que de 987 à 1002, le duc de Haute-Lorraine Thierry Ier cousin germain du roi de France Robert, n’apparaît ni dans les diplômes ni dans les chroniques en relations avec Otton III.

Cette circonstance rend tout à fait vraisemblable qu’à la mort d’Otton III (janvier 1002), Thierry, au lieu de prendre parti pour l’un des trois compétiteurs qui se disputaient la couronne de Germanie, ait reconnu pour souverain le roi de France Robert. Et, en effet, une charte de Saint-Mihiel est datée, cette même année, du règne de notre roi[2].

On objecte, il est vrai, que Henri II a été reconnu à Mayence (juin 1002) par des Mosellans et à Aix-la-Chapelle (7 septembre 1002) par des Lorrains. Mais la qualification de Mosellans est ambiguë et les Lorrains réunis à Aix-la-Chapelle sont exclusivement des évêques et comtes de la Basse-Lorraine. D’autre part, Thierry n’est pas nommé une seule fois avant l’assemblée tenue à Thionville (janvier 1003) où Thietmar dit que Hermann, duc de Souabe et d’Alsace, l’un des concurrens jusque-là de Henri II, lui a fait hommage et où le même chroniqueur parle ^

  1. Widukind, Res gestae Saxonicae, II, 17 (Mon. Germ. hist., SS., III, 443).
  2. De toute façon, le fait certain est que d’autres chartes encore que celle de Saint-Mihiel sont datées, à cette époque, du règne du roi de France Robert.