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Worms en 894. Le roi de Germanie revint à la charge l’année suivante. Mettant à profit la rivalité, en France, d’Eudes et de Charles le Simple, corrompant les grands par des largesses, gagnant les évêques par l’octroi de privilèges, il finit par imposer l’élection de son fils. Zwentibold fut proclamé roi de Lorraine, couronné et sacré (mai 895).

Il ne s’agit là en aucune manière d’une incorporation à l’Allemagne, tant s’en faut. Le royaume de Zwentibold est un État autonome, indépendant de la Germanie, et soumis en tant que royaume franc à la prééminence ou suprématie du seul héritier légitime, à ce moment, des Carolingiens, le roi de France. Charles le Simple prétendit même à plus : dès cette époque, il revendiqua la souveraineté directe sur la Lorraine, ainsi que l’attestent les événemens de l’an 898, où le comte ou duc Régnier et un autre comte lorrain, Odacer, le reconnurent pour roi et l’installèrent en Lorraine. Si les Lorrains, après la défaite et la mort de Zwentibold, se donnèrent néanmoins pour roi Louis l’Enfant, c’est à titre de carolingien, et dans l’espoir que son jeune âge (il avait moins de sept ans) n’en assurerait que mieux leur indépendance nationale. Louis l’Enfant meurt tout jeune (911) et le roi de France est aussitôt et unanimement reconnu pour légitime souverain, remis en possession des États qui devaient lui revenir, largiore hereditate indepta, selon l’expressive formule de ses diplômes. Il fallut l’assaut du trône de France par les Robertiens, pour que l’autorité de Charles le Simple pût être ébranlée en Lorraine, et ce ne fut pas au profit de la Germanie, mais au profit d’une dynastie indigène, celle des Régnier. Le fils de Régnier Ier, Giselbert (Gilbert), est proclamé princeps (919-920), chef de la nation franco-lorraine, par un grand nombre (plurimi) de Lorrains.

Mais, chose curieuse, le respect de la légitimité carolingienne avait poussé en Lorraine des racines si profondes que beaucoup de Lorrains restèrent fidèles, malgré tout, à l’héritier légitime, sacré et couronné, Charles le Simple, et allèrent, pour lui garder leur foi, jusqu’à chercher un appui auprès du roi saxon Henri l’Oiseleur.

Que des partisans de Charles le Simple aient ainsi lié partie avec le roi de Germanie, cela a pu donner quelque vraisemblance à l’idée d’un abandon que le premier aurait fait au second de la Lorraine, en échange d’une alliance contre Raoul.