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généralement plus réfléchi que celui qui pourchasse une idée. »

Nous bornerons là nos citations : elles suffisent pour montrer ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a de faux dans la pensée complexe du prince de Bülow. Quand il présente la France comme « irréconciliable, » nous ne saurions dire qu’il se trompe, mais il le fait certainement quand il affirme que la politique française a été constamment inspirée et conditionnée par la seule idée de la revanche. Certes, la France n’a jamais renoncé, mais si l’idée de la revanche avait été constamment et uniquement la sienne, celle de la guerre l’aurait été aussi, et la France a été pendant plus de quarante ans pacifique : elle le serait encore si la guerre ne lui avait pas été déclarée. Quels que fussent ses sentimens secrets et profonds, elle ne s’est pas cru le droit de la déchaîner elle-même pour sa seule cause ; c’est ce qui fera son honneur dans l’histoire et l’y distinguera de l’Allemagne. Il est vrai, et c’est encore son honneur, qu’elle a introduit de l’idéalisme dans la politique. L’Allemagne n’y en introduit-elle pas elle aussi, à sa manière, qui n’est certes pas la nôtre, lorsque M. de Bülow la montre soucieuse de son prestige affaibli au point de mettre tout à feu et à sang pour en réparer les brèches ? Il nous faut des causes plus nobles ; nous ne faisons pas une politique de prestige ; si nous avons un idéal, nous le plaçons plus haut, dans le droit. Nous ne sommes pas non plus une machine, une mécanique de fer et d’acier sans aucun mélange d’élémens plus souples, moins durs, plus doux.

Au surplus, la question d’Alsace-Lorraine n’est pas seulement pour nous une simple question de sentiment, bien que le sentiment y entre pour beaucoup. Faut-il dire à M. de Bülow que la grandeur matérielle d’un pays n’atteint sa pleine mesure que dans sa grandeur morale ? Il le sait aussi bien que nous. Nous avons été terriblement diminués en perdant l’Alsace-Lorraine et bien plus que ne l’indique la proportion arithmétique du territoire perdu avec celui que nous avons gardé, et nous grandirons de beaucoup plus aussi lorsque nous recouvrerons nos deux provinces. La France a d’ailleurs montré à plus d’une reprise, son histoire en fait foi, qu’elle était capable de sacrifier ses intérêts au service d’une grande idée, et elle n’a pas eu toujours raison de le faire, mais nous ne regrettons pas qu’elle l’ait fait quelquefois, parce qu’une nation s’ennoblit par