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peu d’ironie. « On pourrait dire, écrit-il, que la rancune contre l’Allemagne est l’âme de la politique française ; les autres questions internationales sont plutôt de nature matérielle et ne touchent que le corps. C’est le trait caractéristique un peuple français, que de placer les besoins psychiques avant les besoins matériels. L’humeur irréconciliable de la France est un facteur que nous sommes obligés d’introduire dans nos calculs politiques. C’est une niaiserie maladive à mes yeux que de nourrir l’espérance de pouvoir amener la France à une réconciliation réelle et sincère, tant que nous n’aurons pas l’intention de rendre l’Alsace-Lorraine. Et cette intention n’existe pas en Allemagne... Les Français ont le droit de prétendre à ce que cette opinion fondamentale de la majorité du peuple français soit comprise et appréciée. C’est une preuve d’un vif sentiment d’honneur, quand une nation souffre si profondément d’un affront subi par sa fierté, que le désir de la revanche devienne la passion nationale dominante. » Que faire en présence d’une nation qui, très obstinément, ne veut ni oublier ni désespérer, en un mot qui est, dit-il, « incorrigible, » et ici l’expression est fâcheuse ? M. de Bülow raille un peu ceux qui ont trop attendu, dans leurs rapports avec la France, « des attentions et des amabilités qui constituent la petite monnaie des rapports internationaux, » et on se demande si, dans cette phrase, il n’a pas voulu faire une allusion détournée à l’Empereur lui-même. « Le Michel allemand, ajoute-t-il, n’a pas besoin de faire sans cesse le joli cœur, un bouquet à la main et parfois avec une révérence passablement gauche, pour se rapprocher de la revêche beauté qui ne détourne pas les yeux de la ligne bleue des Vosges. Seule, la lente constatation de l’immuabilité de la perte de 1871 amènera la France à s’habituer définitivement et sans arrière-pensée à l’état de choses déterminé par le traité de Francfort... En attendant, la France est contre nous. » L’Angleterre également, mais entre celle-ci et la France, il y a une différence. « La France, dit M. de Bülow, nous attaquerait si elle se croyait assez forte pour le faire, et l’Angleterre seulement si elle arrivait à la conviction qu’elle ne pourrait faire triompher que par des moyens violens ses intérêts économiques et politiques. Le mobile de la politique anglaise vis-à-vis de nous est l’égoïsme national ; celui de la politique française, l’idéalisme national. Celui qui poursuit ses intérêts restera