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par ce qu’il regardait comme son devoir d’allié. L’Autriche n’avait-elle pas été son « brillant second » à Algésiras ? Il avait une dette à acquitter. Mais le prince de Bülow présente la chose autrement et renverse les idées qu’on s’en était faites. En réalité, l’Allemagne avait gardé sur le cœur la mortification secrète de n’avoir pas été un très brillant premier et elle éprouvait le besoin impatient de s’en relever aux yeux de l’univers. Ce qui la détermina encore, toujours d’après M. de Bülow, ce ne fut pas tant la considération de son alliance que l’attitude de l’Angleterre. « L’Angleterre, dit-il, se mit du côté de la Russie et le langage de la presse anglaise prit un ton presque plus passionné que les voix russes qui résonnaient à nos oreilles. La pointe aiguisée de la politique anglaise parut se tourner moins contre l’Autriche que contre l’Allemagne, son alliée. C’était la première fois que l’alliance austro-allemande devait, en présence d’un grave conflit, prouver sa solidité et sa force... L’heure allait sonner qui devait montrer si l’Allemagne était vraiment mise en échec par la politique d’encerclement, si les Puissances attirées dans le cercle de la politique anti-allemande trouveraient ou non leurs intérêts vitaux en Europe conciliables avec une altitude et des actes hostiles à l’Empire allemand et à ses alliés.

« Les péripéties de la crise bosniaque marquèrent en réalité la fin de la politique d’encerclement. Aucune Puissance ne parut d’humeur à subordonner ses propres intérêts européens à des intérêts étrangers de politique générale et à exposer ses os pour autrui. La constellation très surfaite d’Algésiras se brisa contre le roc de la politique continentale. L’Italie resta aux côtés de ses alliés ; la France resta dans l’expectative et ne se montra pas désobligeante pour l’Allemagne ; l’empereur Nicolas donna au monde une nouvelle preuve de sa sagesse et de son amour de la paix, en se prononçant pour un règlement à l’amiable des difficultés existantes. Le savant encerclement et l’isolement de l’Allemagne, épouvantail passager d’esprits pusillanimes, se dévoila comme une fantasmagorie diplomatique établie sur des conceptions diplomatiques dénuées de réalité. L’erreur de calcul qui avait présidé à sa création avait été la suivante : on n’avait pas fait entrer en ligne de compte, avec son entière valeur comme facteur, la position de grande Puissance européenne de l’Empire allemand. »