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dû. Au surplus, le terme d’encerclement est ici très excessif, et personne n’a songé alors à pratiquer contre l’Allemagne la politique qu’il désigne. Ce qui est vrai, c’est qu’à Algésiras l’Allemagne a senti pour la première fois autour d’elle des résistances qu’elle n’avait pas prévues et qui lui ont été très sensibles. Elle s’était habituée à croire que la peur qu’elle faisait devait opérer comme l’antique : Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas. Sa volonté devait suffire pour incliner toutes les autres. Il n’en était plus tout à fait ainsi. Elle avait abusé de sa force, et le monde regimbait.

M. de Bülow expose dans son livre que la prépondérance de l’Allemagne tenait à deux causes, dont l’une était sa force incontestable et l’autre le prestige qui en résultait, en d’autres termes, à son armée et au bluff. Le prestige appartient à ces impondérables dont Bismarck a proclamé l’efficacité. Celui de l’Allemagne commençait-il réellement à diminuer ? Quoiqu’il en soit, M. de Bülow en a eu l’appréhension. Il était alors chargé de la direction de la politique allemande. C’est lui qui avait engagé l’affaire du Maroc ; il a toujours revendiqué la responsabilité et il la revendique encore aujourd’hui, en dépit des événemens ultérieurs, d’avoir envoyé l’empereur Guillaume à Tanger. Il avait cru faire un coup de maître et la conséquence était, en fin de compte, l’encerclement de l’Allemagne et la diminution de son prestige. C’était jouer de malheur ! Il y avait eu là, devant le monde entier, un échec moral dont personne ne parlait tout haut, car ceux qui en avaient bénéficié avaient le bon esprit de ne pas s’en vanter, mais que tout le monde sentait. Les considérations dans lesquelles entre à ce sujet M. de Bülow en sont l’aveu.

Il fallait donc une réparation : le prestige allemand avait besoin d’être remis à neuf. L’occasion désirée ne tarda pas à se présenter : ce fut l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie et la crise aiguë qu’elle provoqua. En fait, cette crise dure encore, et l’effroyable guerre à laquelle nous participons en est une des phases : mais nous ne parlons ici que de la première, celle qui fut remplie par l’émotion et l’intervention des Puissances slaves, petites et grandes, depuis la Serbie jusqu’à la Russie. On a vu alors, avec un dénouement bien différent, une première ébauche des événemens qui viennent de se reproduire. La Serbie a protesté contre l’annexion par l’Autriche de doux provinces dont les