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manquerait pas de le faire, sûre par là de détruire en même temps sa puissance mondiale dont elle commençait à prendre sérieusement ombrage. Et si le gouvernement actuel de l’Allemagne ne l’a pas prévu, ce n’est pas la faute de M. de Bülow qui, dans sa retraite, lui prodiguait les leçons de l’histoire. « La puissance continentale la plus forte, écrivait-il, a toujours trouvé largement ouverte devant elle les chemins de la politique mondiale. Mais, sur ces chemins, l’Angleterre était en sentinelle. Lorsque Louis XIV suggérait à Charles II l’idée d’une alliance anglo-française, celui-ci, malgré ses sympathies personnelles pour la France, lui répondit que l’établissement d’une alliance sincère se heurtait à certains obstacles, dont le principal résidait dans les efforts que faisait la France pour devenir une Puissance maritime sérieuse... C’est surtout comme adversaire de la politique maritime française que l’Angleterre devint l’ennemie de la France dans la guerre de la Succession d’Espagne, qui porta le premier coup à la prépondérance française en Europe, valut aux Anglais, avec la possession de Gibraltar, la clef de l’Océan et leur donna les meilleures provinces du Canada. » Et M. de Bülow poursuit sa démonstration avec un renfort si abondant de preuves qu’on est étonné que la portée en ait été si mal comprise à Berlin. « Les événemens de 1866 et 1870, écrit-il encore, ont fait de la Prusse et de l’Allemagne la Puissance la plus forte du continent, et celle-ci a pris peu à peu dans l’esprit des Anglais la place qu’y occupait auparavant la France du Roi-Soleil et des deux Bonaparte. » D’après cela, on devait croire qu’en cas de guerre générale, l’Allemagne se défierait de l’attitude de l’Angleterre et qu’elle ne s’exposerait pas à une guerre aussi redoutable sans avoir pris des précautions et s’être assuré des garanties de ce côté. Et pourtant elle n’en a rien fait.

D’où lui venait sa confiance ? Nous ne nous chargeons pas de l’expliquer. M. de Bülow en donne bien quelques motifs, mais ils sont de peu de valeur, vraiment. Ils se réduisent à dire que, l’Allemagne étant devenue trop forte pour être attaquée sur mer, l’Angleterre sentirait qu’elle n’avait rien de mieux à faire que d’être son amie. Le morceau vaut d’ailleurs la peine d’être cité : « Les nuages de guerre font partie du ciel politique. Mais le nombre des nuages qui provoquent la foudre est incomparablement plus faible que le nombre de ceux qui se dissipent. La conduite de nos rapports avec l’Angleterre demande