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s’est servie de sa prépondérance continentale pour en faire le point d’appui de sa politique maritime, son attitude a changé.

Personne, on vient déjà de le constater, n’a jeté plus de lumière que M. de Bülow sur le lien étroit qui rattache la politique maritime de l’Allemagne à sa politique continentale. La seconde n’est pas indépendante de la première, elle en est la condition nécessaire. M. de Bülow va jusqu’à dire, et il a raison, qu’un échec de la politique mondiale de l’Allemagne pourrait ne pas influer sensiblement sur sa situation continentale, mais que la réciproque n’est pas vraie et qu’un échec ou une diminution de prestige de l’Allemagne sur le continent renverserait d’un seul coup l’échafaudage de sa politique mondiale. C’est là une vue très juste : les faits d’hier l’ont confirmée. Dès le lendemain de la déclaration de guerre, et avant même que les événemens se fussent dessinés avec quelque netteté dans un sens quelconque, les colonies de l’Allemagne se sont trouvées en péril. L’Angleterre s’est emparée de Togo, et le Japon a mis le siège devant Kiao-Tcheou. Et pourtant, l’Allemagne avait toujours ménagé le Japon, elle avait été pleine de prévenances pour lui. « Nous n’avons aucun intérêt, dit M. de Bülow, à nous aliéner ce vaillant peuple pourvu d’éminentes qualités et à l’avoir pour adversaire. » Ce vaillant peuple n’en est pas moins devenu l’ennemi de l’Allemagne et il s’apprête à lui enlever sa colonie d’Extrême-Orient. Que le coup soit sensible à l’Allemagne, il suffit pour s’en convaincre de demander à M. de Bülow quel prix elle attache à cette colonie. « En même temps, dit-il, que commençait la construction de notre flotte, nous nous installions, pendant l’automne de 1897, à Kiao-Tcheou ; quelques mois plus tard se concluait avec la Chine le traité de Schantoung, un des actes les plus importans de l’histoire contemporaine de l’Allemagne, acte qui nous assurait notre place au soleil de l’Extrême-Orient, sur les rivages pleins d’avenir de l’océan Pacifique. » C’étaient là de beaux rêves ! Qu’en restera-t-il bientôt ? M. de Bülow, on le voit, n’avait pas tort de croire que l’Allemagne ne pouvait se soutenir sur mer et au delà des mers, que si sa puissance était incontestée sur le continent européen.

Mais s’il le savait si bien, l’Angleterre ne l’ignorait pas non plus : il était donc à prévoir que, lorsqu’elle pourrait porter, atteinte à la puissance continentale de l’Allemagne, elle ne