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mondiale, la politique de l’Empire allemand devenait, dans les mêmes proportions, une politique mondiale. » Au surplus, l’Europe tout entière était entraînée dans des voies nouvelles : l’Allemagne devait l’y suivre, l’y précéder, l’y supplanter. L’empereur Guillaume en a eu l’intelligence vive, rapide, profonde et M. de Bülow l’en félicite et l’en glorifie, déjà au nom de l’histoire. N’est-ce pas lui, le premier, qui a dit de l’Allemagne que son avenir était sur mer ? Il a fait plus que le dire, il a ouvert les voies à l’Allemagne, il lui a donné une flotte pour les parcourir victorieusement.

Mais ce qui était — peut-être — l’avenir pour l’Allemagne était le présent pour l’Angleterre, un présent laborieusement acquis et très solidement établi. Comment l’Angleterre s’accommoderait-elle des ambitions avouées de l’Allemagne ? M. de Bülow ne se fait aucune illusion à cet égard ; il pressent qu’elle s’en accommodera mal, car aucune Puissance ne s’est laissée déposséder sans résistance de ce qu’elle regarde comme son patrimoine et son bien. L’Allemagne a donc prévu cette résistance, mais ne s’en est pas émue : elle s’est résolument proposé de battre l’Angleterre avec ses propres armes. Afin de lui prendre son secret, M. de Bülow s’est demandé comment, pourquoi elle était devenue la reine des mers. C’est, dit-il, parce que sa position insulaire lui ayant permis de ne rien craindre pour ses frontières, elle a pu, libre de cette préoccupation, porter tous ses efforts au delà. L’Allemagne ne jouit pas, tant s’en faut, d’un avantage pareil, car elle a partout des frontières vulnérables ; mais, si elle parvient à les rendre invulnérables grâce à une armée qui paraîtra invincible et sèmera autour d’elle la terreur de sa force, ne sera-t-elle pas arrivée au même résultat que l’Angleterre ? Ce que la nature a donné gratuitement à celle-ci, ne l’aura-t-elle pas obtenu elle-même avec plus de mérite, par un moyen différent, mais aussi efficace ? Ce premier but a été atteint, l’Allemagne est si évidemment invincible sur terre qu’elle y est inattaquable. Dès lors, elle peut tourner ses pensées du côté de la mer.

Sa politique a dû être longtemps à la fois hardie et prudente : hardie, parce que son ambition l’exigeait, prudente parce que, au moins pendant quelques années, l’Angleterre, restant la plus forte, pouvait s’apercevoir du péril qui la menaçait et le dissiper en frappant brusquement le premier coup. « Pendant les dix années,