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leur était née. Sa bienvenue au jour ne lui a pas ri dans tous les yeux. La Prusse d’abord, l’Allemagne ensuite, marchaient en effet à pas de géant et se préoccupaient infiniment peu de ce qu’elles écrasaient sur leur route. Il a fallu se gêner, se serrer pour leur faire place, et on s’y est résigné sans bonne grâce. Tout devenait plus difficile avec l’Allemagne qui bouleversait l’équilibre établi, émettait sans cesse des prétentions nouvelles, montrait un caractère difficile et apportait dans toutes les affaires des vues personnelles qu’elle imposait. On s’inclinait, parce que les intérêts en cause n’étaient encore ni assez nombreux ni assez importans pour qu’on se révoltât, mais on commençait à trouver les exigences allemandes insupportables. M. de Bülow rapporte à ce sujet une boutade d’un de ses collègues : « Vers 1895, écrit-il, à Rome où j’étais alors ambassadeur, mon collègue anglais, sir Clare Ford, me dit avec un soupir : « Que les arrangemens politiques étaient donc plus commodes et moins compliqués, lorsque l’Angleterre, la France et la Russie formaient l’aréopage de l’Europe et qu’on n’avait besoin d’y appeler l’Autriche que dans de rares occasions ! » Ce bon vieux temps est passé, ajoute fièrement M. de Bülow. Le concert européen s’est accru, depuis plus de quarante ans, d’un membre qui a voix au chapitre et qui, non seulement a la volonté de faire entendre sa voix, mais aussi dispose de la force pour agir. » Voilà le ton, il ne varie pas, il est toujours le même depuis la première page jusqu’à la dernière. A la manière des gens parvenus trop vite, l’Allemagne semble éprouver un plaisir de vanité à déranger les autres ; elle y trouve la preuve de son importance dont elle ne jouit pleinement que lorsqu’elle la fait sentir pesamment. Elle est volontiers mauvais coucheur : c’est son goût de l’être. Et, si on n’est pas content, peu lui importe, puisqu’elle « dispose de la force pour agir. » Ces manières nouvelles déplaisent et choquent : on les tolère toutefois aussi longtemps qu’elles ne font en effet que déplaire et choquer sans porter atteinte à de graves intérêts. On sacrifie beaucoup à la paix du monde. L’Allemagne en profite pour grandir, grossir, envahir. Elle devient industrielle et commerciale : son génie la porte à produire beaucoup et à imposer ses produits aux autres. Tous les moyens lui sont bons pour cela. C’est la première forme de son initiation à la vie mondiale où elle ne tarde pas à se jeter à corps perdu. « A mesure, dit M. de Bülow, que notre vie nationale se transformait en vie